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Soudan : La crise humanitaire et de déplacement la plus dévastatrice au monde

L’effondrement causé par la guerre civile au Soudan approche de sa troisième année, laissant derrière lui un lourd héritage de malnutrition, de déplacements massifs de populations et d’une insécurité chronique. Alors que le système des Nations Unies s’apprête à lancer un appel à la levée de fonds record de 4,2 milliards de dollars pour soutenir les opérations humanitaires dans le pays, voici quelques éléments essentiels à connaître sur cette crise que certains qualifient de la plus vaste et la plus dévastatrice crise de déplacement, humanitaire et de protection au monde actuellement en cours.

1) La guerre : les affrontements à Khartoum annoncent la fin du processus de paix

À la fin 2022, de l’espoir naissait qu’un processus de paix soutenu par l’ONU conduirait enfin à une administration civile au Soudan, après une période tumultueuse marquée par la chute du dictateur Omar al-Bashir lors d’un coup d’État militaire, suivie par la répression brutale des manifestants réclamant un régime civil.
« Un accord politique définitif devrait ouvrir la voie à la construction d’un État démocratique », expliquait en décembre 2022 Volker Perthes, ancien envoyé spécial de l’ONU pour le Soudan. Cependant, il mettait en garde contre la persistance de « questions critiques en suspens », notamment concernant la fusion des Forces armées soudanaises (FAS) avec les Forces de soutien rapide (FSR), deux groupes militaires séparés qui s’étaient alliés pour renverser al-Bashir.

Les tensions entre ces deux groupes ont continué de croître début 2023, aboutissant à des affrontements sporadiques. La véritable rupture est survenue le 15 avril lorsque la FSR a lancé une attaque contre la capitale Khartoum. Les combats, qui se sont rapidement étendus à d’autres régions du pays, ont forcé l’ONU à évacuer Khartoum, ainsi que ses bases dans la ville relativement stable de Port-Soudan, sur la mer Rouge.

Ce vendredi, lors de la réunion annuelle cruciale de l’Union africaine à Addis-Abeba, la secrétaire générale de l’ONU a qualifié la situation au Soudan de catastrophe d’ampleur et de brutalité « stupéfiantes ». Elle a averti que le conflit se propageait de plus en plus dans la région. L’ONU, de son côté, a fermement condamné ces combats, et l’envoyé personnel du secrétaire général pour le Soudan, Ramtane Lamamra, continue de soutenir les efforts de paix en collaboration étroite avec les organisations régionales, notamment l’Union africaine.

2) La crise humanitaire : plus de 30 millions de personnes ont besoin d’aide

Les conséquences de cette guerre sont catastrophiques pour les civils soudanais. Plus de 30,4 millions de personnes, soit plus de deux tiers de la population, ont besoin d’assistance dans tous les domaines, de la santé à la nourriture en passant par d’autres formes de soutien humanitaire. La violence a provoqué un effondrement économique, faisant grimper en flèche les prix des denrées alimentaires, du carburant et des produits essentiels, rendant leur accès impossible pour de nombreux ménages.

La faim aiguë devient un problème de plus en plus critique. Plus de la moitié de la population fait face à une insécurité alimentaire grave, et la famine a été confirmée dans cinq endroits du Darfour Nord et des monts Nuba, à l’est. On prévoit que la famine s’étendra à cinq autres zones d’ici mai.

« C’est un moment critique, car les effets de l’insécurité alimentaire se font déjà sentir dans certaines parties du Kordofan du Sud, où les familles survivent avec des rations alimentaires dangereusement faibles, et où les taux de malnutrition augmentent rapidement », a averti Clémentine Nkweta-Salami, coordinatrice humanitaire de l’ONU au Soudan.

Les efforts humanitaires sont gravement entravés par une insécurité persistante qui limite considérablement la capacité d’accès, compliquant la circulation des aidants et mettant en danger leur vie. Malgré cela, l’ONU et ses partenaires continuent de porter secours aux populations vulnérables.

Le Programme alimentaire mondial (PAM), agence d’aide d’urgence de l’ONU, sauve quotidiennement des milliers de vies. Par ailleurs, la FAO a distribué avec succès des semences à plus de 500 000 ménages lors de la saison de plantation. En 2024, environ 15,6 millions de personnes ont bénéficié d’au moins un type d’aide de l’ONU.

Le système de santé du pays est à bout de souffle, plusieurs centres étant attaqués et nombre de professionnels de la santé étant contraints de fuir. La OMS et l’UNICEF continuent cependant d’opérer, soutenant la vaccination contre le choléra et le paludisme, et déployant des équipes médicales mobiles.

3) Déplacements massifs : une population équivalente à celle de la Suisse

Des millions de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile pour trouver refuge dans des zones relativement sûres, tant à l’intérieur du Soudan qu’en pays voisins, ce qui aggrave l’instabilité régionale. On estime à plus de trois millions le nombre de réfugiés, et à près de neuf millions le nombre de déplacés internes. La population déplacée dépasse ainsi la population entière de la Suisse.

Les lignes de front mouvantes ont multiplié les vagues de déplacement, rendant l’accès aux populations nécessiteuses de plus en plus difficile. Le HCR décrit cette crise de déplacement au Soudan comme « la plus grande et la plus rapidement croissante au monde ».

Ces populations déplacées, qu’elles restent ou aient traversé les frontières, font face à une insécurité alimentaire exacerbée par la raréfaction des ressources naturelles et un accès limité aux services essentiels. Par ailleurs, des épidémies de choléra, de rubéole ou de rougeole frappent souvent les camps de réfugiés et de déplacés internes.

Les nations voisines, souvent confrontées à leurs propres problèmes économiques et sécuritaires, peinent à faire face à cet afflux et disposent de services surchargés et insuffisants. L’OMS et le HCR œuvrent pour préserver des vies, soutenir les États d’accueil et garantir que ceux qui fuient soient traités avec dignité.

4) Insécurité : le rôle accru des femmes et des filles

Depuis le début du conflit, plus de 18 800 civils ont été tués, et la violence s’intensifie. En février, au moins 275 personnes ont été tuées en une seule semaine, soit une triple augmentation par rapport à la semaine précédente. Les civils subissent des bombardements d’artillerie, des frappes aériennes et des attaques par drones : les régions les plus touchées sont le Kordofan du Sud et l’état du Nil Bleu.

Les travailleurs humanitaires ne sont pas épargnés ; ils sont aussi victimes d’intimidations et de violences, certains étant faussement accusés de collaborer avec la FSR.

Une mission de recherche des droits humains a documenté des violations graves commises par la FAS et la FSR, appelant à des enquêtes et à la justice pour les coupables.

Une femme interviewée par l’ONU, Edmore Tondhlana, a expliqué que les femmes et les filles sont parmi les plus touchées, évoquant des cas de viol, de mariage forcé ou d’enlèvements. « Lors de la récente attaque dans le Kordofan du Sud, où environ 79 personnes ont été tuées, la majorité des victimes étaient des femmes et des filles », a-t-elle précisé.

Les adolescentes sont également en danger. « Elles ont du mal à se déplacer entre les zones de combat, car elles risquent d’être suspectées d’espionnage », a ajouté M. Tondhlana. Plusieurs mineurs ont été forcés à rejoindre des groupes armés, contraints de combattre ou de servir d’espions.

5) Financement : des milliards nécessaires

Le manque de fonds limite gravement la capacité de l’ONU à venir en aide à la population soudanaise. L’aide du HCR et de ses partenaires a été inférieure au minimum vital pour les réfugiés, et les rations alimentaires ont été fortement réduites, aggravant la faim.

Lundi, l’OCHA et le HCR lanceront un appel à financement en présentant leurs plans de réponse à la crise. Leurs besoins humanitaires, estimés à un montant record pour le Soudan, s’élèvent à 4,2 milliards de dollars, auxquels s’ajoute 1,8 milliard pour soutenir les populations réfugiées dans les pays voisins.

Ce montant peut paraître énorme, mais M. Tondhlana souligne qu’il ne représente qu’une fraction des besoins réels. « Nous essayons d’atteindre 21 millions de personnes, ce qui rien que pour l’année représenterait environ 200 dollars par personne, soit à peine 50 cents par jour. »

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