En l’espace de seulement 24 heures, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a nommé Eli Sharvit à la tête du Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure d’Israël, avant de revenir rapidement sur cette décision.
Cet incident met en lumière le manque de cohérence dans le leadership de Netanyahu, renforçant la perception selon laquelle les décisions prises au sommet du gouvernement sont impulsives et manquent de plan clair.
Il constitue également une preuve supplémentaire que Netanyahu est facilement manipulable — non seulement par ses alliés extrémistes d’extrême droite au sein de la coalition, mais aussi par des forces externes, des gouvernements étrangers, et, selon des médias israéliens, même par sa propre épouse, Sara.
Ce processus de prise de décision chaotique contribue à expliquer la profonde méfiance que les Israéliens ont envers leur leadership. De récents sondages d’opinion révèlent qu’un pourcentage notable d’Israéliens ont peu de foi en leur gouvernement et appellent à de nouvelles élections ou à la démission de Netanyahu.
Cette défiance est souvent attribuée à l’incapacité de Netanyahu à prévenir les attaques du 7 octobre, ainsi qu’à son échec dans la gestion de la guerre qui s’est muée en génocide à Gaza.
Mais le problème va au-delà de ces échecs. Les Israéliens ont perdu confiance en Netanyahu parce qu’ils ne le voient plus comme un leader agissant dans l’intérêt national. Il est devenu si ancré dans le pouvoir qu’il est prêt à provoquer des tensions civiles en Israël, simplement afin de préserver sa position.
Il n’est donc pas surprenant que Netanyahu soit également prêt à sacrifier la vie de plus de 15 000 enfants à Gaza, ainsi que des dizaines de milliers de civils innocents, uniquement pour se donner plus de temps en fonction du maintien de son pouvoir.
Le scandale du Shin Bet demeure toutefois le exemple le plus évident à ce jour de la corruption et du mauvais jugement de Netanyahu.
La politique israélienne est notoirement instable, les coalitions ayant rarement une longue durée. Dans ce contexte, le gouvernement fracturé de Netanyahu peut être considéré comme un reflet de l’histoire politique mouvementée d’Israël.
Le conflit actuel entre le gouvernement et l’armée, bien que peu courant, s’inscrit aussi dans une tendance croissante où la droite israélienne cherche à contrôler toutes les institutions — y compris l’armée, qui a historiquement été perçue comme séparée de la sphère politique.
Les événements du 7 octobre, suivis de la guerre ratée qui en a découlé — tous deux faisant l’objet d’enquêtes critiques — ont brisé l’équilibre fragile qui permettait à Netanyahu et à sa coalition de rester au pouvoir sans provoquer une contestation généralisée.
La pression du public israélien a été un facteur clé dans cet équilibre. Par exemple, la mobilisation populaire a contraint Netanyahu à réintégrer l’ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, en avril 2023.
Cependant, 18 mois de guerre à Gaza, au Liban et désormais en Syrie ont donné à Netanyahu un levier pour manipuler l’état d’urgence comme un outil pour étouffer l’opposition, réduire la dissidence, et ignorer les appels à mettre fin à la guerre ou à négocier un accord final.
Il a désormais transformé la guerre en une plateforme pour poursuivre une ambition politique interne qu’il avait échouée à réaliser dans les années précédant le 7 octobre. Mais le sujet du Shin Bet relève d’une toute autre dimension.
Fondé par le premier Premier ministre d’Israël, David Ben-Gurion, en 1949, le Shin Bet a longtemps été la pierre angulaire de la sécurité intérieure israélienne.
Bien que sa mission principale soit la lutte contre le terrorisme, la collecte de renseignements et la protection des responsables israéliens, son rôle revêt une importance capitale pour la stabilité de l’État.
L’un des objectifs majeurs de cette agence est la prévention de l’espionnage et de la subversion intérieure. Vu les échecs en matière d’intelligence révélés par les événements du 7 octobre, toute restructuration significative d’un organisme aussi stratégique pourrait se révéler désastreuse pour Israël.
Même si le chef du Shin Bet rend compte directement au Premier ministre, il a toujours été entendu que ce poste devait rester à l’abri des querelles politiques. La décision de Netanyahu de limoger Ronen Bar le 2 mars a donc suscité une onde de choc dans la société israélienne, bien plus que ses décisions de destituer l’ancien chef d’état-major, Herzi Halevi, ou le ministre de la Défense, Gallant.
Les actions de Netanyahu ont brisé un tabou de longue date, aggravant la crise intérieure sans précédent que traverse déjà Israël.
L’ancien chef du Shin Bet, Nadav Argaman, a même menacé de dévoiler des informations secrètes, signalant que l’agence est prête à s’engager dans cette lutte de pouvoir interne, ce qui pourrait potentiellement dégénérer en guerre civile.
Mais l’annulation de la nomination de Sharvit — qui aurait succédé à Bar — apparaît comme le signe le plus révélateur de cette crise. Elle met en évidence la décision erratique de Netanyahu et donne du poids à ses opposants, avides de le faire tomber. Comme l’a notamment déclaré Yair Lapid, chef de l’opposition israélienne, Netanyahu est devenu « une menace existentielle pour Israël ».
Certains analystes avancent que ce revirement de Netanyahu aurait été influencé par la pression des États-Unis, surtout que Sharvit aurait publié un article critiquant le président américain Donald Trump.
Cependant, réduire cette décision à une simple soumission à l’influence américaine simplifierait à l’excès la réalité. Si les États-Unis exercent une influence considérable, les décisions de Netanyahu sont façonnées par un ensemble complexe de facteurs.
Netanyahu tente de faire passer le retrait de la nomination de Sharvit comme un geste stratégique ou une concession à Trump, plutôt que comme une abdication politique. Son objectif étant d’assurer le soutien total des États-Unis pour sa politique de guerre à Gaza et dans toute la région.
Au final, cette obsession pour la guerre perpétuelle n’est pas guidée par une idéologie cohérente. Elle reflète surtout la priorité de Netanyahu, qui est de maintenir sa coalition politique et de garantir sa survie politique — rien de plus, rien de moins.