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L’histoire oubliée des femmes érudites dans l’Islam : leur contribution et leur héritage

Il est surprenant pour beaucoup d’apprendre que des femmes vivant sous un régime islamique pouvaient être savantes, c’est-à-dire détenir une autorité liée à leur connaissance des commandements de l’islam, et par conséquent être à la fois recherchées et respectées.

La vision occidentale typique veut qu’aucun ordre social n’ait, ou n’aspire à avoir, plus de « religion » que l’islam. Selon cette perception, plus une société est religieuse, plus ses femmes verrait leur liberté et leur capacité d’agir restreintes. Cette conception repose en partie sur l’hypothèse que la religion n’est qu’une construction humaine, principalement élaborée par des hommes dans le but de favoriser leurs propres intérêts, souvent au détriment des femmes. Cependant, les musulmans ne partagent pas cette vision.

Dans le Coran et la Sunna, les musulmans considèrent qu’ils disposent d’un cadre de guidance parfaitement impartial et complet, car la connaissance et la miséricorde de Dieu englobent toutes choses, tous êtres, ainsi que leurs passés et leurs futurs. Toute interprétation humaine de ce cadre peut faire l’objet de révisions, mais le cadre lui-même ne l’est pas. Ainsi, dans la tradition islamique, la formule « Dieu dit dans Son Livre » constitue la base définitive de l’argumentation.

Lorsqu’il n’est pas évident de déterminer comment appliquer la guidance du Coran dans une situation donnée, les musulmans se réfèrent à la pratique du Messager de Dieu dans des cas similaires ou identiques. La retransmission de son exemple (la Sunna) se fait aujourd’hui pour l’essentiel par un corpus de textes, connus sous le nom de hadith (qui signifie littéralement « parole »). Un homme qui devient spécialiste dans l’étude des hadiths est appelé muhaddith ; une femme, muhaddithah (au pluriel, muhaddithat).

Le Coran condamne la Jahiliyyah, c’est-à-dire l’état d’ignorance qui précède l’islam, notamment la manière négative dont cette société considérait les femmes. Il raconte qu’à la naissance d’une fille, le visage de certains hommes s’assombrit, qu’ils sont eux-mêmes en agitation intérieure et qu’ils cachent leur gêne. Ils se détournent de leur communauté à cause de cette « mauvaise nouvelle ». Faut-il la mépriser, ou la considérer comme un fardeau à enterrer ? Quelle peine pour leur jugement erroné ! (Coran, 16:58-59).

Ce dédain à l’égard des filles peut s’expliquer par la valeur que leur société attachait à l’élevage d’un garçon, qui augmentait les potentialités militaires et économiques de la tribu. À cette époque, il était également courant, dans certaines tribus arabes, de pratiquer l’exécution d’enfants filles à la naissance. Le Coran met en garde contre la rétribution divine pour cette atrocité ; le jour où les filles enterrées vivantes seront interrogées sur la raison de leur mort, rien ne pourra justifier ce crime (Coran, 81:8-9).

Les droits et devoirs humains mentionnés dans le Coran reposent sur deux principes fondamentaux communs aux hommes et aux femmes : d’abord, ils sont tous des créatures et des serviteurs de Dieu, leur Créateur et Seigneur ; ensuite, ils descendent d’un même amour et d’une même humanité. Dieu affirme dans le Coran : « O vous, l’humanité, craignez votre Seigneur qui vous a créés d’une seule âme, et qui a créé d’elle son épouse, puis a dispersé d’eux beaucoup d’hommes et de femmes » (Coran, 4:1). Et encore, dans la sourate al-Araf : « C’est Lui qui vous a créés d’une seule âme, et en a fait son épouse pour y trouver du repos » (Coran, 7:189). Les hommes et les femmes ont été créés avec le même objectif : servir Dieu, car ils ont été créés pour adorer le Tout-Puissant (Coran, 51:56). Le terme « ‘abd » dans le Coran désigne à la fois « adorateur » et « esclave » de Dieu.

Les devoirs que nous devons envers Dieu, ainsi que les vertus qui en découlent, sont identiques pour les hommes et pour les femmes. Cette égalité est affirmée dans un verset célèbre du Coran, la récitation de ce verset et de son contexte étant rapportée par un hadith, transmis par Abd al-Rahmān ibn Shaybah :

« J’ai entendu Umm Salama, l’épouse du Prophète ﷺ, demander : “Pourquoi ne sommes-nous, [les femmes], pas mentionnées dans le Coran comme les hommes ?” […] Puis, ce jour-là, j’ai été alertée par son appel à la chaire. J’étais en train de peigner mes cheveux. Je les ai relevés et suis allée dans l’une des pièces. J’ai écouté attentivement. Je l’ai entendu dire sur la chaire : “O peuple, Dieu dit dans Son Livre : Les hommes Musulmans et les femmes Musulmanes ; les croyants hommes et les croyantes ; les hommes qui obéissent [à Dieu] et les femmes qui obéissent [à Dieu]; ceux qui disent la vérité et celles qui disent la vérité; ceux qui font preuve de patience et celles qui font preuve de patience ; ceux qui donnent l’aumône, et celles qui donnent l’aumône ; ceux qui sont humbles et celles qui sont humbles ; ceux qui jeûnent et celles qui jeûnent ; ceux qui gardent leur chasteté et celles qui la gardent ; et ceux qui se souviennent beaucoup de Dieu — Dieu leur a préparé le pardon et une grande récompense.” (AL-HAKIM, al-Mustadrak, ii. 416 ; le verset cité est al-Ahzab, 33:35).

Ce savoir et la conscience active qui en découle, ainsi que leur transmission, constituent la base solide sur laquelle les musulmans érudits, hommes et femmes, pouvaient exercer une autorité publique. Parfois, divergent des opinions existaient quant à l’interprétation de cette connaissance, mais ces différences ne se basaient jamais sur le genre, la tribu ou la classe sociale de celui ou celle qui la transmet.

Un exemple remarquable est celui d’Amrah bint Abd al-Rahmān, une grande successrice (tabi’iyyah), muhaddithah et faqihah, qui s’est semblablement interposée dans une affaire judiciaire à Médine pour éviter une injustice. Il suffit de noter qu’elle connaissait le déroulement de l’affaire, ses circonstances, et la sentence du qadi, alors même qu’elle n’était pas directement impliquée. Aucun juriste masculin en ville ne l’avait fait. Ce qui est incroyable, c’est qu’elle est intervenue sans que personne ne remette en question son droit à le faire. La partie poursuivie était un non-musulman, qu’elle connaissait uniquement en tant que défendeur dans cette affaire, sans intérêt personnel. Le qadi a finalement annulé sa décision et a libéré le défendeur, car il n’avait pas pu contester l’autorité de l hadith qu’elle a pu citer. Il ne le connaissait pas, ou ne l’avait pas pris en compte dans sa décision. Une fois informé, il a agi comme un musulman doit le faire : il a respecté cette tradition.

Le Coran parle des femmes en des termes aussi précis qu’impartis. Il ne relie pas la féminité à une moindre valeur, à un péché originel, ou à des dispositions à pécher, qu’on ne retrouverait pas chez les hommes. Il ne voit pas la femme comme un appendice de l’homme, mais comme un être distinct, nommé individuellement, tout comme lui. La langue arabe, comme beaucoup d’autres, utilise le masculin pour désigner aussi bien les femmes, sauf si le contexte indique explicitement le contraire. Lorsqu’une mention explicite inclut les femmes, cela devient d’autant plus notable. La sourate 33:35, par exemple, énumère séparément les vertus pour les hommes et pour les femmes.

En voici quelques exemples :

« Il n’appartient pas à un homme croyant ni à une femme croyante, quand Dieu et Son Messager ont décidé d’une affaire […] » (coran, 33:36).

« Jamais je ne laisserai perdre le travail de l’un de vous, homme ou femme » (Coran, 3:195).

« Quiconque accomplit des actions justes, mâle ou femelle, et croit, celui-là vivra une vie agréable, et Nous lui payerons sûrement sa récompense en proportion de ses meilleures œuvres » (Coran, 16:97).

« Quiconque fait de bonnes œuvres, homme ou femme, et croit, ils entreront au Paradis […] » (Coran, 4:124).

« Les hommes croyants et les femmes croyantes sont amis protecteurs les uns pour les autres ; ils commandent le bien, interdisent le mal ; ils établissent la prière, donnent l’aumône, obéissent à Dieu et à Son Messager » (Coran, 9:71).

Le Coran et la Sunna regorgent d’exemples qui montrent que les femmes ont parfaitement le droit d’accéder à des fonctions de haut rang dans toutes les sphères de la connaissance.

Extrait et adapté de Al-Muhaddithat : Les femmes savantes dans l’Islam de Mohammad Akram Nadwi. Ce livre est une traduction en anglais de la préface d’un dictionnaire biographique de quarante volumes (en arabe) recensant les femmes érudites du hadith du Prophète. Pendant les premières années de l’islam, les femmes instruites jouissaient d’une grande reconnaissance publique et d’une autorité certaine. Pendant des siècles, les femmes voyageaient massivement pour chercher la connaissance religieuse et fréquentaient régulièrement les mosquées et les madrasas les plus prestigieuses dans le monde islamique.

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Avatar de Abdelhafid Akhmim