Si l’on étudie la géopolitique du Moyen-Orient arabe depuis le début du XXe siècle, on constate aisément que peu d’aspects positifs ou encourageants en ont émergé. Cela concerne autant le destin des peuples de cette région que celui de la communauté musulmane dans son ensemble.
Par ailleurs, presque tout ce qui s’est produit — et continue de se produire — bénéficie aux ennemis qui ont mis en place et maintiennent les dynamiques régionales. Ces forces, qui ont façonné la région selon leurs plans, en tirent profit sans cesse, malgré les apparences de prospérité ou de stabilité.
Il faut souligner que la majorité des pays du Moyen-Orient arabe figurent parmi les plus riches du monde. Pourtant, en raison des bouleversements géopolitiques constants, une part importante de cette richesse se perd dans des activités qui servent les intérêts des grandes puissances occidentales, véritables architectes et mécènes des difficultés régionales. Ces fonds sont souvent détournés pour soutenir ou alimenter des guerres par procuration orchestrées par ces puissances, plutôt que pour le développement local.
De même, cette richesse est détournée pour manipuler l’opinion publique, détournant l’attention de la vérité des situations intérieure et extérieure. Elle sert également à soutenir une culture populaire corrompue, hérité de l’Occident tyrannique, afin de montrer une loyauté indéfectible envers ce modèle déclinant.
En résumé, la prétendue prospérité de ces pays arabes n’est qu’un mirage. Ils souffrent tous d’un « fléau des ressources » ou d’un « paradoxe de la richesse » : ils disposent de tout ce qu’il faut matériellement pour prospérer, tout en en possédant très peu en réalité, et en ayant tous les prérequis pour atteindre des sommets inédits. Pourtant, ils peinent à garantir des éléments fondamentaux comme la véritable liberté, l’autonomie, l’estime de soi ou un sens profond à leur existence.
Plusieurs raisons expliquent cette situation géopolitique déplorable dans le Moyen-Orient arabe, notamment la question palestinienne. Ces causes touchent aux aspects socio-politiques, aux relations internationales, ainsi qu’au changement constant de l’ordre mondial. Cependant, un facteur crucial, souvent négligé, mêle éléments spirituels et éthiques, et peut se révéler dévastateur : il s’agit d’une malédiction céleste potentielle que seul Allah connaît parfaitement. Elle se manifeste par une absence de barakah, c’est-à-dire de bénédictions divines, qui est essentielle pour toute réussite.
D’un point de vue islamique, lorsque quelque chose ou quelqu’un manque de barakah, rien ne peut fonctionner véritablement en faveur. Cela rend difficiles les fins heureuses et entraîne un dévoiement des projets.
Que signifie réellement cette notion ?
Il est tout d’abord un fait historique que la conception du Moyen-Orient est une construction coloniale, façonnée par un regard orientaliste au service des intérêts impérialistes européens. Cette vision coloniale a permis à l’Occident de reconnaître et de contester l’importance géopolitique de la région, tout en légitimant ses ambitions hégémoniques.
Inévitablement, pour affirmer leur liberté culturelle, historique et civilisatrice, Arabes et musulmans devraient cesser d’utiliser un vocabulaire péjoratif forgé par leurs anciens maîtres coloniaux, qui portent encore la responsabilité du sang musulman versé. À la place, ils doivent élaborer leurs propres termes, plus éclairés et dignes, pour désigner leur identité.
Contrairement à leurs ambitions expansionnistes, initiées par la Grande-Bretagne et la France, la principale barrière à leur intrusion et domination du Moyen-Orient était l’Empire ottoman, qui incarnait, autant qu’il pouvait, un rôle de leadership musulman, la khilafa islamique. Malgré sa faiblesse croissante, il restait une force redoutable jusqu’à la fin. Faire tomber cet Empire, malgré ses nombreux défauts, était comparable à « faire virer un paquebot » : un processus long, difficile, qui nécessite du temps pour changer de cap ou pour s’effondrer.
Les campagnes occidentales constantes questionnant la légitimité et la pérennité ottomane, alimentées par la montée des nationalismes à travers le monde et par la remise en question idéologique, ont fini par convaincre une partie des Arabes de se rallier à une révolte contre l’Empire ottoman. Les Britanniques et leurs alliés promettaient un soutien militaire et la reconnaissance de l’indépendance arabe en échange d’une aide contre la menace ottomane.
Ce vide devait être comblé par la création d’un État arabe unifié, du Levant jusqu’au Yemen, incluant une grande partie du Moyen-Orient. La revendication de l’autodétermination arabe, alimentée par la montée du nationalisme arabe, était aussi au cœur de cette stratégie. La révolte visait à affirmer une identité et une autonomie arabes, perçues comme réprimées par la centralisation ottomane, puis par le panaislamisme persistant.
L’exagération de cette ambition se retrouve dans les paroles d’Abu Khaldun Sati’al-Husri, intellectuel syrien décédé en 1968, qui affirmait : « Nous sommes Arabes avant tout. Les Turcs ont voulu imposer leur langue et effacer notre identité. C’est pourquoi la révolte arabe était une nécessité nationale. »
Les résultats furent catastrophiques pour les Arabes et les Musulmans. Les Ottomans furent défaits et expulsés de leurs terres arabes ; le rêve d’un État arabe indépendant unifié ne se réalisa jamais. Les promesses occidentales furent trahies : la Grande-Bretagne et la France, soutenues par la Russie et l’Italie, divisèrent en secret le Moyen-Orient selon leurs intérêts, en oubliant totalement l’idée d’un califat islamique, qui aurait pu constituer une base pour la résistance, l’unité et la renaissance musulmane.
Enfin, la Palestine fut expropriée et livrée à l’État sioniste naissant, ce qui constitue une tumeur maligne en plein cœur du monde islamique.
Les États arabes du Moyen-Orient, avec leur démographie complexe, ont été organisés de manière à créer des intérêts antagonistes, menant inévitablement à des conflits. En d’autres termes, toute la région a été conçue pour rester instable, empêchant toute gouvernance véritablement progressiste ou démocratie authentique, et nécessitant constamment une intervention extérieure pour gérer ses crises — souvent sous prétexte d’apporter des « services ».
Témoignages occidentaux
Parmi les premiers à anticiper la révolte arabe, un rôle de modèle a été tenu par Ali Bey el Abbasi, un explorateur espagnol déguisé et espion de Napoléon dans le monde musulman, décédé en 1818. Il théorisait que les Ottomans étaient des barbares, dont les actions étaient antif civilized, tandis que les wahhabis d’Arabie montraient des signes prometteurs d’un alignement potentiel avec les principes civilisés.
D’autres voix britanniques, telles qu’Eldon Ruther, explorateur et écrivain, ou John Philby, officier de renseignement colonial, partageaient un avis laudatif sur Abdulaziz b. Al Saud, qu’ils considéraient comme probablement le meilleur souverain qu’Arabie ait connu depuis l’époque des quatre califes bien guidés. Une telle approbation était une astuce pour justifier ensuite la fracture de la région.
Cependant, leurs déclarations sont trompeuses, servant de leurre pour dissimuler la vraie défaite de la révolution arabe. Leur admiration fausse masque la trahison profonde de leurs intentions réelles.
Enfin, Lawrence d’Arabie, officier britannique, diplomate et écrivain, avouerait la vérité en 1935 : « La révolte arabe avait un but limité — la liberté contre les Ottomans — mais pas contre la domination étrangère en général. Nous savions que la liberté n’était qu’un leurre. » Il confiait avoir induit les Arabes en erreur, en leur faisant croire qu’ils avaient une chance de s’émanciper, alors qu’il œuvrait pour leur faire prendre parti pour l’Occident. La trahison était déjà prête, ce qui provoquait, selon lui, des blessures psychologiques profondes.
La persistance d’un ressentiment anti-ottoman
Il va de soi que la notion de Moyen-Orient, ses frontières artificielles et ses États non-naturels, alimentent une série d’erreurs et de conflits, nourris par une historiographie déformée. La région est souvent perçue comme un mélange sans fin de surprises et de scandales.
Une particularité persistante est l’antagonisme envers l’Empire ottoman, qui continue à influencer la perception moderne de la région. La destruction systématique du patrimoine ottoman vieux de plusieurs siècles, notamment dans le Royaume saoudien (notamment à Makkah et Médine, hormis ce qui est islamement inacceptable, comme les tombes), en est une illustration récente. La démolition d’une loggia ottomane dans la Masjid al-Haram à Makkah, lors d’expansions du mosque, a ainsi suscité une vive réaction en Istanbul.
De plus, la plupart des pays arabes célèbrent leurs fêtes nationales ou d’indépendance pour commémorer leur libération de la colonisation britannique ou française. Cependant, il faut garder à l’esprit que ces deux puissances ont d’abord trahi les Arabes, en les trompant pour qu’ils se rebellent contre l’Empire ottoman, dans le but d’obtenir leur libération, avant de devenir eux-mêmes colonisateurs.
Si la révolte arabe avait véritablement réussi — comme avaient cru naïvement les Arabes — alors leurs fêtes celèbraient principalement l’expulsion des Ottomans, considérés comme des conquérants et colonisateurs.
L’indépendance de l’Arabie Saoudite, qui n’a été ni colonisée par l’Angleterre ni par la France, est officiellement commémorée le 23 septembre, date de l’unification sous Abdulaziz b. Al Saud, achevée en 1932. Lors de cette unification, les Ottomans furent définitivement expulsés de la péninsule arabique, rendant cette date une célébration indirecte de l’indépendance vis-à-vis de l’Empire ottoman.
De plus, le drapeau de la révolte arabe contre les Ottomans, instauré en 1916, figure toujours comme un symbole majeur. Conçu par l’ambassadeur britannique Sir Mark Sykes, il devait unir les forces arabes autour d’une identité commune. Paradoxalement, ce même Sykes est l’auteur du traité secret Sykes-Picot, visant à trahir et diviser la région selon les intérêts coloniaux occidentaux, et affaiblir l’unité arabe à jamais.
Ce drapeau comporte trois bandes horizontales : noir (haut), représentant le califat abbasside ou le califat des califes justes ; vert (milieu), évoquant le califat fatimide ou l’Islam pur ; et blanc (bas), symbolisant la dynastie omeyyade. Une triangle rouge à la hampe représente la dynastie hachémite, à l’origine de la révolte contre les Ottomans.
Ces couleurs, appelées arc-en-ciel arabo-païens, visaient à exclure toute influence ottomane dans la construction socio-politique de la région, tout en affirmant une identité arabe autonome. Ces mêmes couleurs ornent encore aujourd’hui plusieurs drapeaux arabes modernes, tels ceux de la Jordanie, de la Palestine, de la Syrie, du Koweït, de l’Irak, de l’Égypte, du Yémen, du Soudan ou des Émirats arabes unis.
En symbolisant la révolution arabe contre l’Empire ottoman, une grande place est aujourd’hui consacrée à la célébration de cette révolte dans des lieux comme Aqaba, en Jordanie, où trône un mât de drapeau de 130 mètres, représentant le drapeau de la révolte, et qui figure parmi les plus hautes structures mondiales. Il s’agit d’un rappel puissant de l’identité arabe et de la lutte contre l’occupation ottomane, avec des couleurs qui incarnent la mémoire des martyrs, la paix, l’oppression, et l’espoir pour un avenir radieux.
Dévoiler la malédiction
Ce qu’on pourrait appeler la malédiction du Moyen-Orient arabe découle principalement de plusieurs facteurs : tout d’abord, les dénominations géopolitiques de la région ne reflètent pas le vécu de ses peuples, mais sont imposées par ses ennemis, avec tout ce qui s’y rattache — religion, identité, culture, civilisation. Ces divisions artificielles ont nourri des incompréhensions, des conflits et des crises régulières, alimentés par une historiographie souvent déformée.
Il est évident qu’en rétablissant une liberté véritable, un renouveau intellectuel et une conscience religieuse sincère, la structure géopolitique et sa dysfonction devraient être réévaluées et ajustées. La poursuivre dans sa configuration actuelle ne mènerait qu’à perpétuer la malédiction.
Une autre réalité consiste dans le fait que la géopolitique actuelle est fortement marquée par la violation flagrante de principes fondamentaux de l’islam : la fraternité, l’unité, la coopération. Ces violations ont souvent compromis les aspects les plus sacrés de l’islam, tels que la dignité, l’honneur, la propriété, le sang et la vie de chaque croyant. En dépit des différences sociales, idéologiques ou politiques, les musulmans restent proches les uns des autres. Ils doivent bâtir des ponts et s’unir face à leurs véritables ennemis.
Un musulman dont la foi est faible reste frère d’un autre musulman. Au lieu de l’humilier ou de le combattre, il doit être aidé, soutenu et encouragé à renforcer sa foi et sa pratique, conformément aux enseignements du Coran et de la Sunna du Prophète, qui insistent sur l’unité fraternelle des croyants. La vie, la richesse et l’honneur d’un musulman sont sacrés pour ses frères de foi. Le lien entre eux est comme celui d’un seul corps : quand une partie souffre, tout le corps ressent la douleur.
De plus, le Prophète a affirmé qu’un croyant ne doit jamais faire du tort à un autre croyant ou le livrer à des menaces ou à la violence (Sahih Muslim). La véritable foi interdit tout acte de trahison ou d’abandon envers ses frères, surtout si cela permettrait à leurs ennemis — ceux qui s’emploient à détruire l’islam — de leur faire du mal.
Ce principe éthique fondamental précise que, malgré leurs désaccords, les croyants doivent se protéger mutuellement, lutter contre l’injustice et ne jamais trahir leurs frères. Même le pire musulman vaut mieux qu’un « meilleur » ennemi de l’islam.
En définitive, ceux que l’on qualifie d’arabes ou de musulmans doivent avant tout réaliser que, même s’ils ne sont pas parfaits, leur devoir collectif est de rester liés par la foi et de lutter pour la justice divine. La confiance en Allah, que rien ne peut satisfaire sauf lui, doit guider leurs actions. La confiance absolue en ce que Dieu ne trahirait jamais ses serviteurs doit leur donner la force de rester unis.
Une conscience collective à ranimer
L’histoire sanglante du Moyen-Orient, marquée par le massacre de Musulmans par d’autres Musulmans souvent manipulés ou soutenus par des acteurs extérieurs, témoigne d’un échec collectif. Peu de choses dans cette histoire forment une fierté ou une inspiration pour l’avenir. Au contraire, elle révèle parfois une trahison entre musulmans eux-mêmes, lorsqu’ils s’allient aux ennemis communs.
Il est essentiel de reconnaître ces erreurs, de chercher à les réparer sincèrement, et, une fois pardon obtenu, d’aller de l’avant avec confiance. Les erreurs peuvent être pardonnées si elles sont accompagnées de remords sincères et de repentance. Se complaire dans la revendication des fautes passées, ou y prendre plaisir, montre une faiblesse d’esprit et de conscience. C’est comme marcher dans un marécage : chaque faux pas entraîne un recul supplémentaire, une déperdition de foi.
La politique géopolitique dans le Moyen-Orient arabe est également façonnée par un nationalisme extrême et par une révision historique volontaire, qui s’attaquent à l’essence même de l’islam et à son rôle civilisateur. Ce nationalisme est une erreur grave, car il se fonde sur l’ignorance et la régression spirituelle. La religion musulmane ne peut en aucun cas se conjuguer avec un nationalisme communautariste, raciste ou ethnocentrique, qui n’a pas sa place dans l’islam.
Le Prophète lui-même, en référence à cet extrémisme, rappelait que la ‘asabiyyah — le nationalisme, la tribalisme, le racisme, l’ethnocentrisme — ne fait pas partie de l’islam, mais de l’ignorance (jahiliyyah). La vie ou la mort dans ce contexte ne valent rien, une aberration que tout musulman doit redouter.
Dès lors, le chemin qui s’offre aux musulmans est évident : ils doivent se rassembler sous l’idée d’unité de l’Ummah, celle du tawhid, en refusant la manipulation et en restant fidèles à leur mission divine. Ils doivent intégrer la vision islamique de la société, retrouver la valeur de la narration historique authentique, et lutter contre la déformation occidentale de leur passé.
Il est aussi urgent de restaurer et d’aimer la totalité du système jihad, qui ne se limite pas à la lutte armée, mais englobe la lutte intérieure, la vie familiale, l’éducation, le développement des ressources humaines, la progression socio-économique, et la défense ultime de la communauté islamique. La vie et la mort doivent être consacrées à défendre l’islam, et non à idéologies vaines ou agendas tordus.
Personne ne peut espérer meilleur destin pour un musulman que ses pairs musulmans eux-mêmes, surtout lorsque leur vie est guidée par la foi et la lutte commune pour l’islam. La situation catastrophique à Gaza, qui est une insulte d’abord à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient, puis au monde musulman entier, doit servir d’éveil pour une renaissance réelle. Il est grand temps de distinguer clairement amis et ennemis, et de réaliser la nature véritable des soutiens ou des oppressions.
La malédiction doit être rompue. Il n’est jamais trop tard pour effectuer une transformation personnelle et collective. La tragédie de Gaza doit devenir un catalyseur d’un réveil musulman, d’un renouveau qui rejettera les modèles artificiels du modernisme (nationalisme, athéisme, relativisme). L’islam doit redevenir la norme fondamentale : le début et la fin de tout ce qui appartient aux musulmans.






