La Hijrah prophétique ne se limite pas simplement à un événement historique étudié dans les livres retraçant la vie du Prophète ﷺ ; elle demeure une icône vivante symbolisant le changement et la reconstruction à tous les niveaux : individuel, social et civilisationnel.
Elle marque le moment où l’Islam s’est transformé, passant d’un appel assiégé à La Mecque vers un projet civilisationnel d’envergure à Médine. La Hijrah constitue une école toujours renouvelée qui nous enseigne comment instaurer le changement dans les périodes les plus sombres et comment bâtir un avenir nouveau lorsque toutes les portes semblent fermer.
À La Mecque, les musulmans ont enduré des années de persécutions et d’oppression incessantes. Le Prophète ﷺ et ses compagnons ont souffert des formes les plus dures de préjudices physiques et psychologiques. Or, une personne ordinaire aurait pu se laisser aller au désespoir ou nourrir des pensées de vengeance. Pourtant, la Hijrah a ouvert un horizon différent : celui d’une patience stratégique et d’une planification approfondie.
La Hijrah commence d’abord comme une migration intérieure de l’âme : les croyants ont migré de la crainte vers la certitude, de la faiblesse vers la détermination. Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont été invités à migrer physiquement. Allah le Tout-Puissant dit : « En vérité, ceux qui ont cru, émigré, combattu dans le sentier d’Allah, et ceux qui leur ont donné refuge et assistance — ce sont eux les véritables alliés » (Sourate Al-Anfal : 72).
Ce verset souligne que la Hijrah ne se limite pas à un déplacement géographique, mais constitue un projet global guidé par la foi et la volonté de sincérité, visant à établir la vérité. Les scènes de l’Histoire de la Hijrah regorgent de leçons et de sens profonds.
À titre d’exemple, réfléchissons à la position du Prophète ﷺ lorsqu’il se tenait aux abords de La Mecque, le cœur attaché à la terre la plus aimée par Allah, déclarant : « Par Allah, tu es la meilleure et la plus aimée des terres d’Allah pour moi. Si ton peuple ne m’avait pas chassé, je ne t’aurais jamais quitté. » (Rapporté par Al-Tirmidhi).
Cela montre un amour sincère pour sa patrie, amour qui ne l’empêche pas de rechercher le changement lorsque toutes les voies de réforme semblent bloquées. Ce moment nous enseigne que le changement exige souvent de quitter ce qui est familier et de sacrifier ce qui nous est cher, mais qu’il ouvre aussi la voie vers des horizons plus larges.
La planification minutieuse du ﷺ pour la Hijrah constitue un modèle inégalé de précision et de conscience. Comme le rapporte Aïcha (qu’Allah l’agrée) dans l’histoire de la caverne, narrée par Al-Bukhari : « Je passai la nuit avec le Messager d’Allah, cette nuit-là, jusqu’à ce qu’un tiers de la nuit fût écoulé, puis le Messager vint et dit : ‘Une permission m’a été accordée de partir.’ »
De cette histoire, naît une leçon essentielle : la vraie foi ne s’oppose pas à l’usage des moyens matériels ; elle combine la confiance en Allah avec une planification parfaite et une action réfléchie.
À Médine, les premiers actes du Prophète ﷺ ont consisté à reconstruire la société sur de nouvelles bases. Il rédigea la Constitution de Médine, première charte précisant les relations entre musulmans et autres communautés, garantissant coexistence, droits et devoirs avec justice et transparence.
Par exemple, ce document déclarait : « Les croyants ne laisseront personne parmi eux handicapé par des dettes sans l’aider de manière équitable à rembourser sa rançon ou sa djizya. » Cela témoigne de l’esprit de solidarité et de responsabilité collective instauré par le Prophète ﷺ.
Il établit également des liens fraternels entre les Muhajirun (les émigrants) et les Ansars (les soutiens), transformant ainsi les défis économiques et sociaux en opportunités de compassion et de soutien mutuel. Anas (qu’Allah l’agrée) rapporte : « Le Messager d’Allah ﷺ a instauré une fraternité entre Abdur-Rahman ibn Awf et Sa’d ibn Ar-Rabi’. Sa’d dit à Abdur-Rahman : “Je suis le plus riche parmi les Ansars ; je partagerai ma richesse avec toi, j’ai deux épouses ; regarde-les, et celle que tu préféreras, je la divorcerai pour toi.” » (Rapporté par Al-Bukhari).
Cet esprit fraternel a dissipé, par la foi, les différences matérielles et sociales.
Il est également important de souligner que le Prophète ﷺ, lors de son installation à Médine, ne s’est pas occupé de se venger de ceux qui l’avaient persécuté à La Mecque ; au contraire, il s’est concentré sur la construction d’une société forte et stable, unifiant les cœurs autour de valeurs et d’intérêts communs. La Hijrah fut ainsi une déclaration concrète que le véritable changement commence en soi-même : en changeant d’abord ses concepts et ses valeurs, avant de changer d’endroit ou de statut.
En considérant la Hijrah comme une icône de reconstruction civilisationnelle, on constate que son impact dépasse largement la péninsule arabique. Ibn Kathir, dans « Al-Bidayah wa An-Nihayah », note qu’après la Hijrah, le Prophète « a transféré l’appel d’une phase de faiblesse vers une phase de puissance », établissant ainsi les bases d’un État capable de protéger et de diffuser le message avec sagesse.
Aujourd’hui, il nous est vital de puiser dans l’esprit de la Hijrah une source d’inspiration pour nos réalités individuelles et collectives. Combien de cœurs ont besoin de migrer de l’attachement aux biens matériels vers la dévotion à Allah ? Combien de sociétés doivent opérer une migration du désunion vers l’unité, de la corruption vers la réforme ? L’esprit de la Hijrah nous enseigne que le changement est une loi universelle essentielle à la vitalité de la vie, et que se résigner aux réalités négatives tue l’âme et éteint l’ambition.
La Hijrah nous enseigne aussi la valeur de l’espoir. Après de longues années de souffrance à La Mecque, la Hijrah a ouvert la voie à la victoire et à l’émancipation. Allah dit : « Et s’ils ne viennent pas à ton secours — Allah l’a déjà aidé lorsqu’une partie des croyants se trouvait dans la caverne, et qu’ils disaient : “Ne vous affligez pas, car Allah est avec nous.” » (Sourate At-Tawbah : 40).
Ce principe divin se répète dans la vie des individus et des nations : la nuit des épreuves peut sembler longue, mais l’aube du soulagement finit toujours par se lever pour ceux qui patientent, planifient et s’efforcent. Enfin, la Hijrah demeure une leçon éternelle pour les générations, un rappel en début de chaque année hijri qu’un véritable changement n’est pas une option, mais une nécessité pour la renaissance et le renouveau de l’esprit de la Oumma. La volonté, la foi et la conscience sont les véritables fondations de toute reconstruction authentique.
Hamoud Yahya Ahmed Mohsen est professeur assistant en littérature au Département de langue et littérature anglaise, à la Kulliyyah du savoir islamique révélé et des sciences humaines d’Abdulhamid Abu Sulayman, à l’Université islamique internationale de Malaisie (IIUM).