Il est indéniable que, à l’exception des prophètes, tous les êtres humains sont sujets à l’erreur et aux péchés, d’une manière ou d’une autre. Toutefois, la bonne nouvelle est que l’homme a été créé comme un être pur et innocent, naturellement enclin à reconnaître et à pratiquer le bien. Il déteste intrinsèquement le mal, la vertu étant plus présente que le vice. La voie vers le bien ou le mal est évidente, leurs chemins étant clairement balisés, et, au bout du compte, il existe un Dieu Tout-Puissant, Complet dans Sa Miséricorde, Très-Fort dans Sa Justice, et Plein de Pardon.
Ces principes font partie de ce que l’on peut appeler les lois ontologiques et spirituelles selon lesquelles la vie a été créée, et selon lesquelles l’existence de l’homme, en tant que vice-gérant de Dieu sur la terre et but de la vie, se déploie. Ils forment la base de la sunnatullah, c’est-à-dire la manière dont Dieu a créé et gouverne l’univers.
Cela signifie que la présence du péché sur la terre est parfaitement normale. Une anomalie serait l’absence totale de tout manquement. Par ailleurs, il serait non seulement irréaliste, mais aussi contre-productif, que des individus ou des sociétés rêvent d’un temps et d’un état où l’infaillibilité régnerait sans faille. Positivement, la perfection ou la flawless in your world est une illusion. Rien dans cette vie ne peut atteindre la perfection absolue.
L’islam ne prône pas un utopisme, cette forme d’idéalisation excessive qui consiste à aspirer à une perfection inatteignable. La voie réaliste, profondément ancrée dans un pragmatisme extrême et une vision factuelle, est la seule voie. Il faut percevoir et accepter les hiérarchies des réalités de la vie telles qu’elles sont, avec leur noble mission terrestre — l’homme, porteur de cette mission, doit les traiter sans y ajouter ni en soustraire.
Cependant, ce n’est qu’un aspect du fonctionnement de la vie. L’autre aspect essentiel est que l’homme ne peut agir seul. Il a été créé si vulnérable et faible qu’à chaque étape de son parcours terrestre, il aura besoin de son Créateur pour avancer. Sans cette divine guidance, il risque de se perdre, d’aggraver ses faiblesses et limitations, et finalement d’être submergé par la puissance croissante du péché.
L’homme a aussi besoin de l’orientation de son Dieu, car c’est Lui qui l’a créé, connaît ses besoins les plus profonds pour rester sur la bonne voie et réussir. Seul Dieu peut maximiser le potentiel de l’homme et atténuer ses désavantages. Les substituts produits par l’humain sont toujours insuffisants pour diriger la vie, puisque tout ce que l’homme crée — que ce soit dans la pensée ou dans la réalité — est aussi imparfait que lui-même. Toute mascarade artificielle comme superficielle n’a qu’une courte durée de vie, reflétant la fragilité de l’existant humain dans sa globalité.
Enfin, un croyant doit devenir un acteur engagé. Son rejet instinctif du mal doit se traduire concrètement en actions. Il doit constamment s’efforcer d’éviter le péché ainsi que toute situation, chemin ou contexte qui risquerait de le traîner vers le mal. En aucun cas, il ne doit soutenir le mal ou prendre parti pour les pécheurs. Il doit être suffisamment instruit, intelligent et vigilant pour ne pas succomber, et, en plus, aider son prochain à suivre son exemple dans la voie du bien.
Les croyants face au péché
Lorsqu’un croyant, à cause des aléas à la fois physiques et métaphysiques de la vie, vient à céder au péché, il ne doit pas se décourager ni perdre espoir. Il doit plutôt suivre cette démarche alternative :
Dès que le péché « touche » le croyant et que celui-ci pèche, il doit immédiatement ressentir de la honte et se sentir responsable. Il doit percevoir cette erreur comme une trahison de lui-même et de ses principes, ce qui doit l’irriter, le rendre nerveux et le pousser à la repentance.
Ce que le croyant vient de faire n’est pas conforme à sa nature et à sa conscience. Il doit alors se mobiliser contre cette inclination, considérer la situation comme un combat entre lui et le péché — le péché étant la chose à éliminer. La première étape consiste à percevoir le péché comme un élément extérieur discordant, une intrusion indésirable qu’il faut repousser immédiatement. Par la suite, il doit sincèrement se repentir auprès de Dieu, en affirmant qu’il déteste ce qu’il a fait, et en jurant de ne plus recommencer.
Cependant, si la situation inverse se produit — c’est-à-dire que la personne, au lieu de voir le péché comme un obstacle à éliminer, le prend pour une partie de lui-même, ou que le péché devient une identité — cela indique que le mal a trouvé un refuge, qu’il a envahi l’essence même de la personne. Dans ce cas, la difficulté à se défaire du péché augmente considérablement.
Le péché devient une passion, une façon de vivre, et la personne devient à la fois le réceptacle et l’agent du mal. Le péché et le pécheur se fusionnent, se confondent jusqu’à former une seule entité, où le péché façonne la personne à son image.
Face à un tel phénomène, le croyant ne doit pas désespérer, car il sait qu’il n’a pas cherché consciemment à défier la Sainte Autorité ou à rejeter le message révélé par son Créateur. Sa défaillance est une erreur passagère, une faiblesse de son humanité, plutôt qu’un rejet volontaire. Il doit reconnaître que son erreur résulte d’un moment d’égarement, d’un défaut passager dans sa spiritualité.
L’homme pèche parce qu’il est humain, soumis à tous les hauts et bas de cette vie éphémère. La commission d’un péché, en somme, est une caractéristique de l’humanité. Conquérir le péché et sincèrement se repentir signifie que sa dimension divine a triomphé, qu’elle domine désormais sa personnalité intégrale. À l’inverse, se laisser vaincre par le péché sans remords ni demande de pardon révèle que la dimension terrestre et animale, sous l’influence, évidemment, du diable, a pris le dessus sur l’âme.
Il va de soi qu’un croyant ne pèche pas dans le sens où le font les incroyants ou dans leur attitude de défi volontaire. Il ne cherche pas à transgresser de façon préméditée ou systématique, sous peine de perdre son statut de croyant. Son erreur est plutôt une faute ponctuelle, un faux pas ou une faiblesse passagère.
Ce qui explique que, dans la langue arabe, « tawbah » signifie « revenir » : revenir à Dieu en regrettant ses fautes et en abandonnant le chemin de la désobéissance pour celui de la soumission. Lorsqu’il se repent, le croyant revient vers l’amour divin et la sollicitude de Dieu, qui l’ont toujours attendu. Il reprend aussi la pureté et la bonté de sa nature originelle. Ainsi, chaque petit « retour » du croyant vers le mal se transforme en un grand « retour » vers la joie divine, vers le bonheur céleste.
Les enseignements du Coran et de la Sunna sur le péché et la repentance
C’est pourquoi le Prophète Muhammad (paix et bénédictions sur lui) soulignait cette conception de la vie : « Par Celui dans la Main duquel se trouve mon âme, si vous ne péchiez pas, Allah vous remplacerait par un peuple qui pècherait, puis demanderait pardon à Allah, et Allah leur pardonnerait » (Sahih Muslim). De même, il disait : « Tout fils d’Adam pèche, et les meilleurs de ceux qui péchent sont ceux qui se repentent » (Sunan Ibn Majah).
Il affirmait également : « Celui qui se repent d’un péché ressemble à celui qui ne l’a pas commis » (Sunan Ibn Majah).
Le Coran réaffirme ces vérités à maintes reprises. Par exemple, Allah dit : « Dis (ô Muhammad) : ‘Ô Mes serviteurs qui avez transgressé contre vous-mêmes (par le péché), n’ayez pas d’espoir dans la miséricorde d’Allah. En vérité, Allah pardonne tous les péchés. Il est, certes, le Pardonneur, le Très-Miséricordieux’ » (az-Zumar, 53).
Et encore : « Certes, Allah ne pardonne pas qu’on Lui donne un associé, mais Il pardonne tout le reste à qui Il veut. Et celui qui donne un associé à Allah s’est certes égaré d’une égaration éloignée » (an-Nisa’, 48).
Dans une autre étape, Allah qualifie les justes, les pieux et les bienfaiteurs comme ceux qui, lorsqu’ils commettent une immoralité ou une erreur, se rappellent d’Allah, demandent pardon pour leurs péchés, et savent qu’aucun ne pardonne les péchés sinon Lui (Alu ‘Imran, 135).
Il ne s’agit pas de savoir si les plus grands croyants peuvent tomber dans le péché ou l’erreur — ce qui est évident — mais de comment ils réagissent après. Il leur est demandé de se ressaisir, de se rappeler d’Allah, et de demander pardon. La persévérance dans le péché ou l’ignorance volontaire n’est pas acceptée ; aussi, ils doivent éviter consciencieusement de continuer dans le mal, tout en aidant autrui à suivre leur exemple.
Ce comportement pourrait être appelé « éthique du péché », qui, malgré la répugnance que suscite le mal, demeure profondément imprégné de l’esprit de l’appel islamique. Tel est le message : tout ce qu’un véritable croyant entreprend — même les actions problématiques — il le fait dans l’esprit du tawhid, en croyant à l’Unicité de Dieu, en affirmant Son commandement.
Le processus provisoire de péché suivie de repentance, et qui peut dans certains cas accroître la piété et la vertu, devient ainsi une œuvre méritoire. Allah promet : « À l’exception de ceux qui se repentent, croient et accomplissent de bonnes œuvres, ceux-là, Allah leur effacera leurs mauvaises actions, et Il leur donnera une divine récompense » (al-Furqan, 70).
En somme, dans le vocabulaire du Coran, le vrai sens du péché et du pécheur, c’est de s’être volontairement enrôlé dans le mal, jusqu’à en devenir totalement submergé — c’est l’enkystement complet dans le mal : « Ceux-là sont les compagnons du Feu ; ils y demeureront éternellement » (al-Baqarah, 81).
Voici trois exemples coraniques illustrant cette philosophie du péché, de la repentance et du pardon :
Le cas du Prophète Adam
Premièrement, le Prophète Adam a « désobéi à son Seigneur et s’est égaré » (Ta Ha, 121). Toutefois, même s’il a manqué à l’ordre divin, il n’était pas une personne désobéissante ni malveillante, et ses erreurs ou écarts n’avaient pas pour but de rejeter le mal ou de vouloir faire le mal volontairement.
Cet écart se produisit dans le Paradis (Jannah), où Adam fut placé provisoirement pour apprendre et se préparer à sa mission sur terre. Il est vrai que faire des erreurs dans le processus d’apprentissage ne signifie pas lâchement échouer. Ces erreurs font partie d’un processus dynamique de progrès, pouvant être transformé en avantage. Elles constituent la courbe de l’apprentissage. Tout ce qui s’y est passé en paradis visait à maximiser la performance d’Adam sur la terre, où tout comptait vraiment. Finalement, Adam s’est montré à la hauteur.
Dès qu’il comprit ce qui s’était passé, Adam ressentit une profonde remontrance, puis se tourna vers Dieu en disant : « Notre Seigneur, nous avons fait du tort à nous-mêmes, et si Tu ne nous pardonnes pas et ne fais pas miséricorde envers nous, nous serons forcément du nombre des perdants » (al-A’raf, 23). Il restaure alors l’ordre initial.
Dans le Saint Coran, il est précisé que Adam et sa femme Hawa ont simplement glissé, ont commis une erreur, trahis par Satan qui exploita leur innocence et leur inexpérience.
Satan ne recula devant rien pour y parvenir. Toutefois, ni Adam ni Hawa ne peuvent être tenus responsables de la débâcle dans le Paradis — c’est Satan qui, en incitant Adam et Hawa à faire cette erreur, révéla ses véritables couleurs. Adam, lui, était prêt à affronter la terre, le lieu des épreuves humaines.
Les descendants d’Adam jusqu’au Jour du Jugement ont ainsi reçu le modèle pour combattre Satan et surmonter le péché.
Le cas de Qabil
Deuxièmement, lorsque Qabil, le fils d’Adam, tua son frère Habil, le Coran rejeta la faute sur Qabil. Il ne mentionne pas l’influence du diable direct, mais affirme que c’est l’âme corrompue et maléfique de Qabil qui l’a poussé à commettre l’un des crimes les plus odieux de l’humanité (al-Ma’idah, 30).
Sans aucun doute, le mal que Qabil a accepté venait de Satan, qui à l’intérieur de lui a méthodiquement travaillé. Son moi est devenu le centre de ses actions, comme le rôle d’un bras armé de Satan. La sourate semble vouloir se concentrer sur la cause intérieure du crime, plutôt que sur l’influence extérieure de Satan en général.
Qabil n’était pas seulement mauvais, il incarnait le mal. Il était aveuglé par le mal, incapable de percevoir ou d’écouter quoi que ce soit d’autre que sa voix intérieure pestant contre la véracité morale. Son âme possédait toutes les conditions pour le péché qu’il allait commettre. Le crime de meurtre a cherché Qabil tout autant que lui a cherché le crime. La destinée du meurtre semblait prédestinée, une alliance parfaite entre lui et le mal.
Et c’est pour cela que Qabil a tué son frère dans un sang-froid total. Il n’avait jamais évoqué Dieu, ni durant, ni après le crime, ni même réalisé la gravité de son acte qui aurait pu le conduire à la repentance. Il était complètement contrôlé par sa méchanceté.
S’il faut retenir une morale, c’est que Qabil est le modèle du mal absolu — celui qui ne se repend pas, ne regrette pas. La tradition prophétique insiste : « Aucune âme n’est injustement tuée sans qu’une part de responsabilité ne revienne à son frère, Qabil, car il a été le premier à établir le précédent du meurtre » (Sahih al-Bukhari et Muslim).
Le Coran souligne l’importance de cette injustice lorsqu’il dit : « C’est pour cela que Nous avons prescrit pour les Enfants d’Israël que celui qui tuera une âme sans justification — que ce soit par meurtre ou par corruption dans la terre — c’est comme s’il avait tué toute l’humanité. Et celui qui sauve une vie, c’est comme s’il avait sauvé toute l’humanité. Nos messagers leur étaient venus avec des preuves évidentes. Pourtant, beaucoup d’entre eux, après cela, ont transgressé » (al-Ma’idah, 32).
Le cas d’un fils de Nuh (Noé)
Troisièmement, le Coran évoque le cas d’un fils de Nuh comme un autre exemple de la véritable signification du péché et du pécheur. Vivant lors des premières étapes de la civilisation humaine, ce fils est devenu, à l’image de Qabil, un modèle de mauvaise conduite.
Il passa toute sa vie à rejeter l’enseignement de son père, à tenter de rivaliser avec lui. Lors du déluge, il prétendit qu’au lieu de suivre son père dans l’arche vers la sécurité, il se réfugierait en gravissant une montagne pour se protéger de l’eau (Hud, 43). Finalement, il mourut dans cet état de rébellion, n’étant plus considéré comme un membre de la famille de Nuh, mais comme un « acte méchant » (Hud, 46).
Ce fils de Nuh semble avoir succombé à tous les niveaux à tous les péchés de la démesure. En s’alignant sur Satan et sa propre âme maléfique, il devint l’incarnation du mal, sa vie s’inscrivant dans une imagerie de péché constante. Il est devenu un symbole du mal lui-même, un « acte pécheur » immortalisé dans l’histoire. En vivant et en promouvant le mal, il est devenu la personnification même du mal.
De la même manière que Qabil, ses sens ont été défaillants. Son absorption dans le péché fut si grande qu’il ne put raisonner, ni se repentir. Les épisodes miraculeux liés à la prophétie de son père, révélant la puissance divine et bafouant la loi humaine, lui échappèrent totalement. Son état était suicidaire, poussant Nuh, en tant que prophète, à le mettre en garde et à l’implorer : « Ce jour, il n’y a aucun sauveur de la décision d’Allah sauf celui à qui Il fait miséricorde » (Hud, 43). Finalement, il fut englouti par la colère divine.
Ce modèle de l’homme pécheur, persistant dans le mal sans saisir la nécessité du repentir, sera toujours sous la douleur de l’absence de miséricorde divine. Ceux qui persistent dans le mal sans reconnaître leurs fautes seront privés de la miséricorde d’Allah, à moins qu’Il ne le veuille, et subiront, dans l’au-delà, la punition qui leur revient.
Inversement, le croyant, pour autant que ses péchés soient réconciliables, sera pardonné. Sa faute demeure limitée, relative et conditionnée, ne pouvant subsister face à la compassion infinie d’Allah.
Tout autre sentiment que celui de la repentance sincère est étranger à la vision islamique. La désespérance face à la miséricorde divine témoigne d’une faiblesse dans la foi — qu’elle soit en Dieu ou en soi-même. La véritable repentance en islam est donc une posture d’intensité qualitative, une attitude spirituelle et mentale, une reconnaissance de son engagement sincère dans la foi. Elle n’est pas simplement un acte de contrition, mais une pratique de gratitude envers Dieu, un acte d’adoration en soi qui fortifie toute la dimension spirituelle.
Se repentir, c’est effacer ses péchés, prendre des mesures pour éviter la récidive, et agir comme une véritable barrière contre le mal. La repentance, bien menée, contribue grandement à l’épanouissement personnel, à la réalisation de soi et à l’élévation morale.
C’est pourquoi les musulmans sont encouragés à pratiquer la repentance, même lorsqu’ils n’ont pas péché. Cela doit devenir une démarche personnelle et collective. Le Prophète lui-même, tout en étant infaillible, disait : « Par Allah, je demande pardon à Allah et je me repens à Lui plus de soixante-dix fois par jour » (Sahih al-Bukhari).






