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L’islam peut-il concilier éthique et progrès moderne ?

Dans notre monde en constante évolution, les défis auxquels nous sommes confrontés sont nombreux et complexes, nécessitant une approche globale qui intègre l’importance des valeurs éthiques, spirituelles et culturelles, même dans une société de plus en plus laïque.

Chaque musulman a la responsabilité de veiller à ce que ses actions soient guidées par une compréhension approfondie des lois nationales, de ses traditions et de l’humanité partagée, discours qui émanent des visions et croyances propres à l’islam.

Au cours des dernières décennies, diverses organisations musulmanes engagées à travers le monde arabe et au-delà ont élaboré des modèles pour répondre aux enjeux contemporains, en insistant sur le message universel de l’islam comme une force dynamique pour la construction nationale et l’émancipation des communautés.

Bien que différentes initiatives aient été développées pour tracer une voie vers la véritable signification du pouvoir et la construction d’une nation, il est essentiel que tous les musulmans, indépendamment de leur race ou appartenance ethnique, adoptent la conviction que l’idée d’une coexistence pleine de sens doit être profondément incarnée par ceux qui incarnent la justice, la compassion et un sens profond de responsabilité — valeurs que l’islam et d’autres grandes civilisations ont toujours défendues tout au long de l’histoire.

Il s’agit donc d’un enjeu capital pour toutes les communautés musulmanes de bâtir une culture de la connaissance qui favorise des nations non seulement prospères mais aussi justes, inclusives et ancrées dans une morale solide. La conception occidentale du développement, souvent marquée par un dualisme ou une séparation non intégrée entre progrès matériel et valeurs spirituelles, associé à ce que l’on nomme une approche “non-tawhidique”, témoigne que la notion d’autonomisation ou de pouvoir est trop souvent reliée à la participation des membres de la société dans la réforme politique, économique et institutionnelle.

Si la participation à la sphère sociale reste une composante essentielle de l’autonomisation, une vision holistique dépasse largement la réussite matérielle et le progrès technique. Elle doit intégrer les dimensions spirituelle, éthique et culturelle de l’existence humaine, et cette conception devrait se refléter dans notre culture de la connaissance.

Cependant, en raison d’une approche dualiste dans l’éducation, beaucoup de responsables politiques ou éducatifs peuvent remettre en question la légitimité d’une telle approche intégrative, car elle semble contredire le principe de séparation de l’Église et de l’État inscrit dans la constitution. Ce phénomène est particulièrement perceptible chez les minorités musulmanes dans la région, notamment chez les Philippines musulmanes.

Au-delà du discours traditionnel sur la coexistence pacifique, qui vise essentiellement l’harmonie sociale, la promotion d’un gouvernance éthique et la création d’un environnement où chaque individu peut s’épanouir en tant que citoyen et agent moral est souvent entravée par une culture de la connaissance qui privilégie une vision matérialiste, au détriment des aspects plus subtils et qualitatifs du vivre ensemble — ceux liés à l’identité, au leadership moral, à la justice sociale.

Conscients des limites de cette approche, des savants musulmans locaux ont dialogué avec leurs homologues pour recontextualiser la gouvernance éthique, insistant sur la transparence, la responsabilité et les valeurs morales comme leviers pour la construction d’un récit national cohérent et porteur d’intégration.

Plusieurs organisations musulmanes telles que le Conseil Islamique des Philippines, le Ranao Council, le Conseil des Imams des Philippines, ainsi que des ONG, ont organisé des ateliers et des formations pour sensibiliser les leaders locaux et la communauté à une gouvernance éthique conforme aux principes islamiques. Leur collaboration avec des partenaires civils dans des programmes ciblant les inégalités sociales ou économiques a permis de réduire les dissensions idéologiques entre différentes traditions intellectuelles.

Par ailleurs, la préservation de l’identité et de la culture musulmane en région a été une priorité pour renforcer la cohésion et valoriser la riche hérédité culturelle des communautés musulmanes philippines. Rayonner cette richesse auprès des jeunes vise non seulement à renforcer leur sentiment d’appartenance mais aussi à encourager une contribution positive dans le cadre national, tout en conservant leur héritage.

Face aux enjeux de l’éducation moderne en tant qu’outil d’intégration nationale, les responsables éducatifs musulmans soulignent l’intérêt d’adopter une approche holistique. Intégrer des principes islamiques dans le curricula permettrait de former des individus responsables, à la fois cultivés et conscients de leur rôle citoyen.

Des politiques publiques ont été adoptées pour soutenir cette vision, notamment en assurant un meilleur accès à l’éducation pour la jeunesse musulmane, afin qu’elle soit en adéquation avec le reste de la société et participe activement à la construction nationale.

Pour que la voix et la spécificité des communautés musulmanes soient effectivement prises en compte au niveau national, il est crucial que des leaders intelligents articulent soigneusement le discours islamique sur les enjeux du dialogue interreligieux. Leur effort doit viser à créer des ponts, favoriser l’harmonie sociale et dissiper les malentendus concernant l’islam, ses pratiques, sa culture, et son rôle dans l’unité nationale.

Ainsi, l’engagement actif des responsables communautaires dans le processus législatif national, pour représenter la diversité, la richesse et les aspirations des musulmans, est essentiel pour transformer ces communautés en acteurs pertinents dans la réalisation d’une société plus inclusive et harmonieuse.

Dans un contexte où les approches laïques pour la coexistence pacifique prédominent, on constate que certains leaders du mouvement Bangsamoro ont réagi en maintenant, voire en revitalisant, leur dialogue interculturel et interreligieux, souvent fragilisé par le colonialisme, la guerre ou la modernisation. En s’appuyant sur des principes islamiques tels que la consultation (shura), la réconciliation (sulh) et la modération (wasatiyyah), ils œuvrent à intégrer ces valeurs dans les cadres institutionnels nationaux.

Ce travail vise à donner une reconnaissance accrue aux voix sous-représentées dans les démarches de paix et de construction identitaire, notamment celles issues des traditions musulmanes indigènes, en leur permettant de contribuer à comprendre, à partir de leur contexte historique et culturel, les tensions actuelles, comme celles relatives à l’autonomie du peuple Moro.

Il appartient donc à chaque communauté informée de cultiver une culture de la connaissance qui privilégie la conscience de notre humanité commune, pierre angulaire de la paix et de la résolution des conflits. Cette étape clé dans le processus de paix enrichi les théories et pratiques modernes, en donnant une voix à celles et ceux qui cherchent à s’émanciper pour un monde plus juste.

On pourrait affirmer qu’une synthèse créative entre traditions anciennes et nouvelles approches d’autonomisation et de paix garantirait de nombreux bénéfices pour chaque communauté. Ce défi invite à mobiliser intellectuels et responsables politiques autour d’un projet durable, fondé sur des bases philosophiques respectant l’histoire, l’identité et les aspirations futures de chaque groupe.

En analysant la réalité socio-politique des minorités musulmanes dans la région, il est fréquent que la narration dominante, souvent biaisée en un conflit entre musulmans et majorité non musulmane, verrouille la compréhension de l’islam dans une image antagoniste. Cependant, dans l’histoire philippine, le terme ‘Moro’ ne désigne pas uniquement une opposition, mais traduit la diversité des identités culturelles de plusieurs groupes musulmans minoritaires qui ont contribué à la richesse nationale.

Les leaders et intellectuels musulmans ont joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de lois personnelles musulmanes, dans l’institution de tribunaux shari’ah, ainsi que dans la réaffirmation de leur autonomie culturelle dans un cadre laïque.

L’éducation reste un axe primordial pour préserver l’identité musulmane, et de nombreux érudits insistent sur le fait qu’un système respectueux des traditions doit aussi relever les défis imposés par l’influence laïque. La réforme de l’enseignement, notamment dans la région de Mindanao, reflète cette volonté de réappropriation de l’héritage islamique, en conciliant modernité et authenticité.

Au moment où le changement de leadership en Malaisie, en 2025, pourrait jouer un rôle déterminant dans la recherche d’unité régionale, il est essentiel que les responsables communautaires prennent une part active pour préserver et renforcer la cohésion, par le dialogue interreligieux et l’intégration culturelle.

Les politiques publiques, surtout celles relatives au codification des lois personnelles musulmanes ou à la mise en place de secteurs économiques comme la finance islamique ou l’industrie halal, montrent que la participation des leaders et intellectuels musulmans est stratégique pour revaloriser leur place dans l’économie nationale.

Face aux défis d’une région marquée par des discriminations systémiques, une prise de conscience est nécessaire pour dépasser les logiques excluantes héritées du passé, afin de promouvoir une forme d’intégration qui respecte la pluralité tout en cherchant à construire une société équilibrée, respectueuse de ses différentes composantes.

Il est donc urgent que gouvernements et communautés musulmanes coopèrent pour engager une véritable refondation des politiques, en intégrant la dimension spirituelle, morale et culturelle dans l’élaboration des stratégies nationales, selon une vision équilibrée du développement.

En somme, la reconstruction de ces modèles, à la fois intellectuels et institutionnels, doit reposer sur un solide socle de connaissance islamique, mais aussi d’une compréhension globale des dynamiques sociales, historiques et culturelles, afin de guider l’avenir vers une société juste, inclusive et humaine.

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