Lorsque la question de la musique est abordée dans les cercles musulmans, la majorité du temps, le débat tourne autour d’une seule interrogation : est-ce halal ou haram ?
Bien que cette discussion soit ancienne et fasse l’objet de longues analyses doctrinales, cet article choisit une voie différente. Plutôt que de s’en tenir à cette opposition binaire, il invite à réfléchir à quelque chose de plus profond : les conséquences spirituelles, émotionnelles et culturelles de la musique, aspects souvent négligés.
Au-delà du halal et du haram : l’impact de la musique sur l’âme
Que vous écoutiez la musique de façon occasionnelle ou que vous soyez un adepte passionné de playlists, il faut comprendre que la musique ne se limite pas à un simple bruit de fond. Elle exerce une influence puissante sur nos émotions et notre psychologie. Depuis des siècles, les penseurs et savants ont souligné la capacité de la musique à éveiller l’amour — pas uniquement l’amour romantique, mais aussi des attachements émotionnels profonds.
Il est important de réaliser que vous ne restez pas une entité statique ; vous évoluez. Vos goûts, vos désirs, votre perception de ce qui est “cool” ou “acceptable” changent avec le temps. La musique joue un rôle subtil mais déterminant dans cette transformation. Si elle n’est pas maîtrisée, elle peut orienter votre cœur vers ce que Allah désapprouve, tout en éloignant votre cœur de ce qui Lui plaît.
Réfléchissez à ceci : si vous écoutez en permanence des chansons qui glorifient la trahison, la luxure ou le matérialisme, ces valeurs finissent par s’ancrer comme des normes. Vous pouvez même vous surprendre en train de fredonner des paroles qui, si vous vous arrêtiez pour y réfléchir, seraient en contradiction avec vos principes. Ce n’est pas une consommation passive ; c’est une forme de formation de votre identité : vous devenez un vecteur du message d’autrui.
Le dilemme de l’artiste : le coût spirituel de la scène
Si vous avez déjà été ou rêvé d’être artiste, il faut garder à l’esprit ceci : la scène n’est pas un espace neutre. Elle exige plus que le talent : elle sollicite souvent l’ego. Se produire sur scène augmente la perception de soi, crée une version amplifiée de votre personnalité, un “alter ego” qui se nourrit des regards, des louanges et des applaudissements. Si cette identité n’est pas gérée avec humilité et conscience de Dieu, elle peut finir par prendre le pouvoir sur votre véritable moi.
Pensez à des artistes dont l’authenticité initiale s’épuise dans la quête de notoriété, au point de perdre leur véritable identité dans l’image qu’ils projettent au public. La menace n’est pas simplement celle de l’orgueil ; c’est aussi celle de l’aliénation, de l’éloignement de soi-même et de son Créateur.
Le piège du “génie tourmenté” : l’art, la souffrance et l’identité
Dans la culture occidentale, on romantise souvent l’idéal de l’artiste torturé : celui qui est émotionnellement instable, excentrique, voire autodestroyeur. Cette mythologie associe sensibilité artistique et chaos intérieur, persuadant que pour s’exprimer pleinement, il faut souffrir — ou glorifier la souffrance.
En tant que musulmans, il faut se méfier de cette narrative. La douleur émotionnelle est réelle, mais elle ne doit pas devenir un brevet d’authenticité. Le prophète Muhammad (paix et bénédictions sur lui) était profondément réfléchi et conscient de ses émotions, mais il possédait aussi un équilibre intérieur, une spiritualité intense et une forte force mentale.
La mécanique de l’industrie : l’art fabriqué à des fins commerciales
De nos jours, la musique ne se limite pas à la mélodie ou au message. Elle fait partie d’une industrie fortement commercialisée, pilotée par des stratèges du marketing qui façonnent chaque parole, chaque image, chaque rythme pour provoquer des réactions : sexe, statut social, rébellion, désir. Ces producteurs proposent une esthétique, un mode de vie, qu’ils vendent comme une authentique expression. Et souvent, cela fonctionne.
Prenons le rap, par exemple. Beaucoup de “rappeurs de gang” ne sont pas réellement impliqués dans des activités criminelles, mais ils se rapprochent suffisamment de cet univers pour le mimétiquement reproduire. Les récits qu’ils racontent sont souvent exagérés, voire fictifs. Pourtant, des millions de personnes consomment cette musique en croyant qu’elle reflète la réalité, sans se rendre compte qu’il s’agit d’une illusion soigneusement construite — un produit destiné à divertir et à vendre, pas à refléter la vérité.
Ce n’est pas une chanson folklorique d’une vieille tradition paysanne ; c’est l’extension d’un empire d’illusion, qui façonne les cœurs davantage qu’on ne le pense généralement.
Une beauté qui peut égarer
Une argumentation courante dit : “La musique est belle, Allah est beau, et Il aime la beauté.” C’est vrai, mais il ne faut pas confondre cette beauté avec ce qui mène à Allah. Certains types de beauté sont trompeurs, attirant vers le bas, éloignant de la lumière et plongeant dans l’obscurité. D’autres feeds l’ego ou éveille des désirs que la plupart du temps, il vaut mieux laisser dormir jusqu’au moment opportun.
Allah est la source de toute beauté véritable, mais le chemin qui mène à Lui passe par la sincérité, non par la séduction.
Et après ?
Ce n’est pas une invitation à haïr la musique ou à condamner ceux qui l’aiment. C’est plutôt une exhortation à la réflexion. Il est essentiel d’analyser ce que l’on consomme, pourquoi on le consomme, et surtout, ce que cela fait naître dans nos cœurs. Posez-vous les questions suivantes :
- Quels principes cette musique véhicule-t-elle ?
- Comment me fait-elle vibrer spirituellement ?
- Est-ce que je pourrais l’écouter en présence du Prophète ﷺ ?
- Votre cœur est précieux. Protégez-le comme il le mérite, car il a une importance capitale.
La musique peut élever l’esprit, inspirer, ou simplement anesthésier et détruire. Tout dépend du message, de l’intention et de la façon dont elle est utilisée. En tant que musulmans, notre devoir n’est pas seulement d’éviter ce qui est interdit, mais également de rechercher ce qui nous rapproche d’Allah. Parfois, cela implique de déconnecter du bruit du monde pour pouvoir entendre à nouveau la voix de notre âme.