La chute de la ville d’El-Fasher mardi a marqué une escalade majeure dans la guerre civile brutale au Soudan entre l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (RSF) soutenues par les Émirats arabes unis.
Plus de 2 000 civils, dont des femmes et des enfants, auraient été tués par les combattants de RSF à El-Fasher au cours des dernières 48 heures. Ce massacre fait suite à des mois de siège par des dizaines de milliers de soldats de RSF qui ont encerclé la ville en avril 2024.
Les approvisionnements alimentaires ont été interrompus et les massacres systématiques de civils ont commencé peu après. Les hôpitaux ont été débordés, le camp de déplacés voisin de Zamzam a été détruit et l’aide humanitaire a été bloquée.

Plus de 250 000 civils coincés dans la ville sont désormais confrontés à la famine et à des violences ciblées. Des témoins oculaires et des rapports d’ONG décrivent des atrocités racialisées, notamment des violences sexuelles, des actes de torture et des meurtres à caractère ethnique. Les observateurs internationaux ont qualifié ces attaques de crimes de guerre, suscitant des appels croissants à une intervention.
Ces violences ont ravivé les comparaisons avec le génocide du Darfour des années 2000. Les RSF elles-mêmes sont issues des milices Janjaweed responsables de cette campagne. Début 2025, les États-Unis ont officiellement déclaré les actions de RSF un génocide. Human Rights Watch et l’UNICEF ont fait état d’un nettoyage ethnique systématique, en particulier contre le peuple Massalit non arabe, y compris le meurtre d’enfants et le viol de femmes comme armes de guerre.
Comment le Soudan en est-il arrivé là ?
La guerre civile actuelle a éclaté en avril 2023 lorsqu’une lutte de pouvoir entre le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des Forces armées soudanaises (SAF), et le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, commandant des RSF, a dégénéré en guerre ouverte.
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Les racines du conflit remontent au renversement en 2019 du président de longue date Omar al-Bashir, qui a conduit à un fragile accord de partage du pouvoir entre les factions militaires et civiles. Cet arrangement s’est effondré en 2021 lorsque Burhan et Dagalo ont organisé un coup d’État conjoint contre le gouvernement de transition.

Leur alliance s’est rapidement divisée en raison des projets d’intégration des RSF dans l’armée nationale et des différends sur le commandement d’une force unifiée. Le 15 avril 2023, les tensions ont dégénéré en guerre à grande échelle.
Depuis lors, le conflit a tué plus de 150 000 personnes et déplacé plus de 14 millions de personnes. L’ONU considère désormais le Soudan comme la pire crise humanitaire au monde, avec une famine et des violences ethniques qui se propagent de manière incontrôlée.
Qui sont les RSF ?
Les RSF ont été officiellement créées en 2013, mais leurs racines remontent aux milices Janjaweed, tristement célèbres pour leur rôle dans le génocide du Darfour. Créées à l’origine pour contrôler les milices arabes, les RSF sont rapidement devenues célèbres pour leurs violations des droits humains, notamment les exécutions extrajudiciaires, les viols et les déplacements forcés.
Dirigées par Hemedti, un membre d’une tribu arabe du Darfour sans formation militaire formelle, les RSF ont rapidement gagné en pouvoir et en influence. Hemedti a construit un vaste réseau financier en contrôlant les opérations d’extraction d’or et les routes de contrebande régionales, lui permettant d’armer et de payer des dizaines de milliers de combattants.
Les RSF ont également acquis une expérience de combat à l’étranger, en déployant des troupes au Yémen et en Libye en coordination avec les puissances régionales arabes du Golfe comme les Émirats arabes unis. Son implication dans le contrôle des routes migratoires vers l’Europe a même conduit à une coopération controversée avec l’UE. Ces facteurs combinés font des RSF l’une des forces militaires non étatiques les plus redoutables d’Afrique.
Des mains étrangères dans la guerre au Soudan
Le conflit au Soudan est alimenté par de puissants acteurs régionaux. L’Égypte soutient l’armée soudanaise, invoquant la sécurité des frontières et ses intérêts liés à l’eau du Nil, tandis que RSF recevrait un soutien substantiel de la part des Émirats arabes unis et du chef de guerre libyen Khalifa Haftar.
Khartoum accuse les Émirats arabes unis d’armer et de financer les RSF, notamment en fournissant des drones et des combattants étrangers. Les Émirats arabes unis nient ces allégations, mais le Soudan a déposé une plainte auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ) accusant l’État du Golfe de complicité dans le génocide. Même si la CIJ a décliné sa compétence, les accusations ont intensifié l’examen minutieux du rôle d’Abou Dhabi.

Des informations ont également établi un lien entre le réseau de contrebande d’or d’Hemedti et les Émirats arabes unis, l’or soudanais affluant vers Dubaï pour financer les opérations de RSF. Cela a soulevé des questions sur la complicité internationale et le manque de surveillance des marchés mondiaux de l’or.
Documents soumis au Conseil de sécurité de l’ONU et rapportés par Le gardien révèlent que du matériel militaire de fabrication britannique est également parvenu aux combattants de RSF. Les dossiers, compilés par les renseignements de l’armée soudanaise en juin 2024 et mars 2025, allèguent que des systèmes de ciblage d’armes légères et des moteurs de véhicules fabriqués au Royaume-Uni ont été détournés via les Émirats arabes unis vers des zones contrôlées par RSF.
Ces conclusions ont suscité des critiques à l’égard du régime britannique d’exportation d’armes, les militants accusant le gouvernement de négligence et de complicité indirecte dans des crimes de guerre. Le ministère des Affaires étrangères insiste sur le fait que le Royaume-Uni applique l’un des systèmes de contrôle des exportations les plus rigoureux au monde.
Une nation au bord du gouffre
Avec la chute d’El-Fasher et du contrôle des RSF sur une grande partie du Darfour et du Kordofan, les forces d’Hemedti ont commencé à former une administration parallèle, ce qui soulève la perspective d’une nouvelle division du Soudan, après la sécession du Soudan du Sud en 2011.
L’armée soudanaise contrôle toujours le nord et l’est du pays, y compris Port-Soudan, qui sert désormais de capitale administrative temporaire. Bien que les forces gouvernementales aient repris Khartoum en mars 2025, la ville est en ruines, avec des ministères, des hôpitaux et des banques détruits et des infrastructures fonctionnant à peine.

La guerre a dévasté l’économie du Soudan. Plus de 24 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, les agences humanitaires faisant état d’une malnutrition généralisée et de l’effondrement des cantines alimentaires à travers le pays. L’accès humanitaire reste fortement restreint malgré les pourparlers répétés de cessez-le-feu.
Les négociations de paix en Arabie Saoudite et à Bahreïn ont échoué à plusieurs reprises. Les deux camps restent concentrés sur la victoire militaire.
L’armée soudanaise, soutenue par l’Egypte, refuse tout compromis, tandis que RSF revendique une légitimité politique après ses récents acquis.
Les États-Unis ont imposé des sanctions à Burhan et Hemedti, et l’ONU a ouvert des enquêtes sur les crimes de guerre. Pourtant, ces mesures ont eu peu d’impact. Les observateurs affirment que la communauté internationale a effectivement abandonné le Soudan, le qualifiant de « guerre oubliée ».
Les groupes humanitaires préviennent que le Soudan est au bord de l’effondrement total. Avec des millions de personnes déplacées, des villes détruites et une famine qui se propage, le pays risque une fragmentation permanente et une chute sous le régime des seigneurs de guerre.






