Actualités

Deux Côtés, Une Ummah : Démystifier les Mythes entre Sunnites et Shiaïtes

Depuis plus de 1 400 ans, l’Islam est une foi riche et complexe, suivie par des communautés diverses à travers le monde. Parmi ses branches les plus connues figurent les Sunnis et les Chiites.

Malgré le fait qu’elles partagent les mêmes croyances fondamentales — l’unicité d’Allah, la prophétie de Muhammad (paix soit sur lui), le Coran et le Jour du Jugement — un écart important de malentendus subsiste entre ces deux groupes.

Cette différence ne provient pas uniquement de divergences théologiques, mais résulte aussi de siècles d’histoire politique, de divergences culturelles et d’une exposition limitée l’un à l’autre.

Cet article a pour but d’aborder avec respect certaines idées fausses courantes que chaque groupe peut avoir à propos de l’autre, en soulignant leurs valeurs communes et l’importance d’un dialogue éclairé.

Idées reçues communes des Sunnis sur les Chiites

1. « Les Chiites adorent Ali (RA) »

C’est une idée fausse très répandue. En réalité, les Chiites vénèrent profondément l’Imam Ali (RA) — cousin et gendre du Prophète Muhammad (paix soit sur lui) — mais ils ne l’adorent pas. Leur admiration provient de leur conviction qu’il était légitime pour diriger après la mort du Prophet, pas d’une divinisation. Dans l’Islam, le culte est exclusivement réservé à Allah, et la théologie chiite majoritaire respecte ce principe.

2. « Les Chiites ont un Coran différent »

Contrairement à cette croyance, les Chiites et les Sunnis lisent le même Coran. Les deux groupes considèrent qu’il s’agit de la parole inchangée de Dieu. Bien qu’il existe des différences d’interprétation, comme dans toutes les écoles de pensée sunnites, le texte lui-même reste identique.

3. « Les Chiites maudissent les compagnons »

Bien que certains érudits chiites aient émis des critiques à l’encontre de certains compagnons du Prophète, il est faux de prétendre que tous les Chiites maudissent ces compagnons. La majorité de la pensée chiite respecte beaucoup de compagnons, même si leur perception des événements après la mort du Prophet, notamment concernant les premiers califes, peut être nuancée et émotionnelle.

4. « Les Chiites ne prient pas comme les Sunnis »

Les Chiites accomplissent les mêmes cinq prières quotidiennes que les Sunnis, en direction de la même Qibla et en récitant les mêmes sourates. Cependant, leur jurisprudence permet parfois de combiner certaines prières (par exemple Dhuhr avec Asr, Maghrib avec Isha) selon leur interprétation des traditions prophétiques. Ce n’est pas un rejet du système de prière, mais une application différente de celui-ci.

5. « Les Chiites sont constamment en deuil »

Le jour d’Ashura, commémorant le martyre de l’Imam Hussain (RA) et la tragédie de Karbala, a une importance profonde pour les Chiites. Pourtant, réduire la spiritualité chiite au deuil seul est inexact. Ils célèbrent aussi d’autres fêtes religieuses, pratiquent régulièrement des actes d’adoration et trouvent de la joie dans le souvenir d’Allah, comme leurs homologues sunnites.

Idées reçues communes des Chiites sur les Sunnis

1. « Les Sunnis n’aiment pas la famille du Prophète (Ahlul Bayt) »

C’est une erreur douloureuse. La valorisation de la famille du Prophet est centrale dans la foi sunnite également. De nombreux savants sunnites et textes religieux louent la famille du Prophète, et leur amour est une composante essentielle de la croyance sunnite. La différence réside surtout dans la manière d’exprimer cette affection, pas dans l’intention.

2. « Les Sunnis soutiennent ceux qui ont tué Imam Hussain (RA) »

La tragédie de Karbala est commémorée par tous les musulmans. L’Islam sunnite condamne fermement l’action de ceux responsables de la mort d’Imam Hussain (RA). Beaucoup de savants sunnites considèrent cet épisode comme une grave injustice, et honorent Imam Hussain en tant que martyr de l’islam.

3. « Les Sunnis privilégient la majorité plutôt que le Coran et la Sunna »

Alors que la tradition juridique sunnite inclut des méthodes comme ijma (consensus) et qiyas (analogie), celles-ci sont des outils complémentaires pour interpréter le Coran et la Sunna, et ne les remplacent pas. La charia sunnite s’appuie fermement sur ses sources principales, à l’image de la jurisprudence chiite.

4. « Les Sunnis manquent de profondeur spirituelle »

Ce malentendu provient d’une vision uniquement juridique de l’Islam sunnite. En réalité, les traditions spirituelles comme le soufisme — qui mettent l’accent sur l’amour, le dhikr (rappel), et la purification du cœur — sont totalement intégrées dans l’Islam sunnite. De nombreux sunnites aspirent à une connexion intérieure avec Allah, tout comme les Chiites.

5. « Les Sunnis rejettent la leadership d’Imam Ali »

Les Sunnis considèrent Imam Ali (RA) comme le quatrième calife bien guidé et un modèle de piété et de sagesse. La divergence porte principalement sur la succession et la légitimité de la gouvernance après la mort du Prophète, pas sur le statut ou le respect d’Ali lui-même.

Idées fausses partagées et le risque de division

1. « L’autre groupe n’est pas musulman »

Il s’agit d’une des idées les plus nuisibles. Même si certains extrémistes remettent en cause la foi de l’autre, les érudits sunnites et chiites majoritaires reconnaissent l’identité islamique des deux groupes. Tous partagent la Shahada (témoin de foi), prient dans la même direction et adorent le même Dieu.

2. « La politique historique est synonyme de doctrine religieuse »

La majorité des divisions entre Sunnis et Chiites sont issues de luttes politiques — succession califale, rivalités dynastiques — et non de divergences fondamentales en doctrine. Confondre politique historique et doctrine religieuse alimente inutilement la haine.

3. « Toutes différences théologiques sont fondamentales »

Oui, il existe des différences — concernant l’autorité, la jurisprudence et les collections de hadiths. Mais elles sont largement compensées par leurs croyances et valeurs communes. L’unité ne nécessite pas une uniformité totale, surtout lorsque la foi de base reste intacte.

4. « Les pratiques extrêmes définissent tout le groupe »

Juger un groupe entier sur le comportement de ses éléments les plus extrêmes est injuste et risqué. Tout comme tous les Sunnis ne peuvent être réduits à certains mouvements politiques ou groupes marginaux, tous les Chiites ne peuvent être jugés selon quelques rituels isolés. La nuance est essentielle.

Construire des ponts vers l’unité : un chemin possible

1. Favoriser le dialogue plutôt que la controverse

Une curiosité sincère et un respect mutuel ont plus d’impact que la confrontation. Le dialogue doit viser la compréhension, pas la victoire. Des liens dans la famille, des amitiés, et des forums communautaires ouverts peuvent jouer un rôle clé dans la réduction de l’ignorance.

2. Centrer sur les piliers communs de l’Islam

Les deux groupes prient, jeûnent pendant le Ramadan, donnent la zakat, accomplissent le Hadj et se tournent vers Allah dans les moments de besoin. Ces piliers partagés constituent la base de l’unité islamique.

3. Enseigner une théologie compatissante

Les enfants et les nouveaux convertis héritent souvent de perceptions sectaires sans contexte. Éduquer la prochaine génération à connaître la diversité de l’islam — sans vilipender l’autre — peut construire un avenir plus uni.

4. Combattre l’extrémisme par la connaissance

L’extrémisme prospère sur l’ignorance. Que ce soit en ligne ou dans la communauté, il faut dénoncer les discours haineux et promouvoir des perspectives factuelles et respectueuses face aux différences.

La division entre Chiites et Sunnites, si elle est réelle, n’est pas insurmontable. Beaucoup de malentendus ont pour racine la méconnaissance, et non la haine. En nous instruisant humblement et sincèrement, nous pouvons mieux percevoir la foi partagée plutôt que nos divisions héritées.

Dans un monde déjà marqué par la division, la communauté musulmane a une opportunité et une responsabilité uniques : montrer l’unité dans la diversité. Le respect ne demande pas l’accord, mais exige honnêteté, compassion et volonté d’écouter.

Passons au-delà des étiquettes, et avançons vers la lumière de la compréhension mutuelle.

Laisser un commentaire

Avatar de Abdelhafid Akhmim