Chaque année, le Ramadan remet sur la table un casse-tête vieux comme les fuseaux horaires : à quel degré régler sa montre pour les prières ? 12 ou 18 ? Et pourquoi pas 14 ou 15, pendant qu’on y est ? Si la question fait sourire les habitués des débats d’après-tarawih, pour de nombreux fidèles, la pagaille demeure. Attention, sujet sensible : il est question ici du second pilier de l’islam et du bon déroulement du jeûne quotidien.
Deux degrés, deux calendriers… et deux camps bien ancrés
En France, deux grandes fédérations publient chaque année leur propre calendrier de prières. D’un côté, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) prône le 12 degrés – non, pas pour la météo, mais pour le calcul de l’aube (fajr) et de la nuit (icha). En face, la Grande Mosquée de Paris (GMP) mise sur le plus sérieux 18 degrés. Et voilà comment, dans une même ville, les heures peuvent varier de plus ou moins 30 minutes selon la saison. De quoi alimenter blogs, débats, et angoisses de dernière minute à chaque iftar.
Certes, la plupart des jurisconsultes s’accordent : l’un ou l’autre des degrés est valide du point de vue religieux. Sur le papier, tout va bien. Mais sur le terrain, la confusion règne.
Pourquoi cette confusion autour des horaires ?
Le jeûne, qui impose de s’abstenir de manger, de boire et de toute grignotage improvisé entre la première (fajr) et la quatrième prière (maghreb), nécessite un point de départ précis. Or, avec deux horaires différents pour l’aube, et la question du « danger de manger après l’heure légale » très présente sur la blogosphère musulmane, beaucoup de fidèles se retrouvent dans le flou artistique.
Pour tenter d’unifier les méthodes, l’UOIF et la GMP ont même créé ensemble, en octobre 2015, une commission mixte censée rapprocher les calendriers. Misant sur le compromis, on évoque alors l’idée de s’accorder sur 14 ou 15 degrés. Mais… c’est l’éternel chantier, aucune avancée n’a réellement vu le jour côté consensus. D’ailleurs, l’UOIF se dit encore loin du compte, tandis que la GMP affirme voir là une « piste de travail sérieuse ».
Et si on variait les degrés au fil de l’année ?
C’est là que Fouad Alaoui, gestionnaire de la société Gedis et responsable de l’édition des calendriers pour l’UOIF (mais non membre de la fameuse commission mixte), avance sa solution. Selon lui :
- Le 12 degrés facilite la prière l’été, mais complique la vie des fidèles l’hiver.
- Aucune obligation religieuse d’employer le même angle toute l’année.
- On pourrait donc progressivement transiter du 12 degrés en été au 18 degrés en hiver… et vice-versa.
Alaoui précise même que, pour la France (et la majorité de l’Europe du Nord), tous les calculs entre 12 et 19 degrés peuvent être considérés comme pertinents. Alors pourquoi s’enfermer dans une case et risquer la migraine chaque changement de saison ?
L’expérience du temps du Prophète et de ses compagnons parlerait aussi pour lui : il n’y avait aucun calendrier, la progression des horaires se faisait naturellement, sans que personne n’y pense. Pourquoi s’arc-bouter sur un système figé ?
L’appel au compromis… ou l’éternel débat ?
Le 15 degrés, solution médiane bien en vogue de l’autre côté de l’Atlantique (Amérique du Nord), reste peu utilisé en France. Fouad Alaoui note d’ailleurs que ses partisans ne fournissent pas d’argumentation théologique particulièrement solide pour l’adopter ici.
L’idée d’Alaoui ? Mettre en place un calendrier avec des degrés évolutifs (et non un changement brutal, qui « déstabiliserait les musulmans »), sur la base d’une méthode unique de calcul. Son mot d’ordre : consensus, unité et intérêt des musulmans. Mais il le dit sans détour – et avec un soupçon de fatalisme : la démarche de rapprochement entre UOIF et GMP mérite d’être saluée, mais il est à craindre que chacun campe encore longtemps sur ses positions.
Car derrière la technique, il y a aussi l’enjeu d’influence chez les fidèles. Et ça, ni l’UOIF ni la GMP ne semblent vouloir le céder. Les discussions risquent donc de durer… aussi longtemps que le Ramadan revient chaque année.
En attendant un éventuel consensus, le conseil reste : choisissez un avis reconnu, respectez-le avec conscience… et, si possible, éloignez la pendule de la cuisine à l’approche du fajr !






