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Srebrenica 30 ans : Souvenir d’une tragédie et révélation d’une hypocrisie insupportable

Il y a trente ans, le 11 juillet 1995, le leader militaire serbe de Bosnie, Ratko Mladic, parcourait les rues de Srebrenica pour marquer la chute de l’enclave bosniaque aux mains de ses forces. « Voilà où nous sommes, le 11 juillet 1995, dans la Serbe Srebrenica », déclara Mladic lors de sa promenade peu après 16 heures, heure locale.

Il ajouta : « À la veille d’une autre grande fête serbe, nous donnons cette ville au peuple serbe en guise de cadeau. Enfin, après la rébellion contre les Dahis, il est temps de prendre notre revanche sur les Turcs dans cette région. »

Afin de mieux comprendre cette déclaration, un peu de contexte historique s’avère utile. Le 12 juillet, l’Église orthodoxe serbe célèbre la fête des saints Pierre et Paul, une importante fête religieuse. Ce jour évoque aussi une période sombre dans l’histoire des Balkans, liée à la montée et à la chute des Dahis (également orthographiés Dahijas ou Dahije), des officiers janissaires révoltés qui prirent le contrôle du sanjak de Smederevo (ou Pashalik de Belgrade) en décembre 1801, après avoir assassiné le vizir ottoman Hadzi Mustafa Pasha.

Leur règne brutal suscita une crainte généralisée parmi la population serbe, qui adressa une pétition au sultan, aboutissant à l’offensive connue sous le nom de « Massacre des Knezes » en janvier 1804, lorsqu’une trentaine de chefs communautaires serbes furent exécutés par les Dahis. Ce massacre suscita une indignation et encouragé la résistance.

En août 1804, les forces ottomanes, dirigées par Bekir Pasha, vizir de Bosnie, aidées par des rebelles serbes, réussirent à vaincre les Dahis. Cependant, les tensions restèrent vives, car les Janissaires continuaient à contrôler des villes clés comme Uzice, et Bekir Pasha souhaitait désarmer les Serbes.

Face à la répression ottomane, les rebelles se tournèrent vers la Russie en quête de soutien. Une délégation envoyée à Saint-Pétersbourg en septembre 1804 revint avec une aide financière et un appui diplomatique, marquant le début de la Première révolte serbe, qui allait s’inscrire dans la plus large révolution nationale serbe.

Par le mot « Turcs », Mladic fait référence aux Bosniaques musulmans, suggérant qu’ils doivent « payer » pour des siècles de domination ottomane associée à l’islam, imposée aux populations orthodoxes balkaniques.

Quelle sorte de « cadeau » et de « revanche » promettait le monstre serbe ? Ses paroles glaçantes, évoquant des griefs historiques, masquaient en réalité la brutalité qui allait suivre. Les Bosniaques de Srebrenica n’étaient pas des Ottomans turcs, mais des civils — hommes et garçons — qui allaient être exécutés systématiquement.

Quelques jours plus tard, les forces de Mladic, réalisée par l’armée des Serbes de Bosnie de la République serbe, tuèrent 8 372 Bosniaques musulmans, ce qui constitue la première genocide légalement reconnue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Ironie du sort, Srebrenica était désignée comme une « zone de sécurité » protégée par l’ONU. Au lieu d’être un refuge, elle devint un terrain de massacre.

Malgré des avertissements clairs et la présence de casques bleus néerlandais de l’ONU, la communauté internationale — notamment l’OTAN — échoua à intervenir. Tout comme aujourd’hui, où la vie des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie occupée est traitée comme jetable par certains dirigeants occidentaux, celle des Bosniaques à Srebrenica il y a trente ans fut aussi ignorée. La constante hypocrisie et l’inaction sélective de la communauté mondiale entachent encore la crédibilité des principes humanitaires universels.

Cette semaine, la Bosnie-Herzégovine commémore le 30e anniversaire du génocide de Srebrenica. Des milliers de personnes se rassemblent à Srebrenica et au Centre commémoratif de Potocari pour honorer la mémoire des victimes de juillet 1995.

Parmi elles, sept nouvelles victimes ont été identifiées cette année, dont deux jeunes de 19 ans. Pour beaucoup de familles, la douleur reste vive, alors qu’elles continuent d’enterrer des restes partiels extraits de tombes anonymes — des preuves effroyables d’un crime qui a brisé des générations.

Les survivants et les familles cherchent toujours à faire leur deuil, et le silence du monde en 1995 résonne encore aujourd’hui. Bien que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) ait condamné des figures importantes comme Mladic, la justice a été partielle. Seuls 18 individus ont été condamnés pour crimes à Srebrenica, dont cinq à perpétuité. De leur côté, les tribunaux bosniaques ont prononcé 27 condamnations, dont 14 pour génocide, mais plus de 1 200 victimes restent portées disparues.

Le génocide de Srebrenica a révélé les limites de la détermination occidentale et les conséquences de la procrastination politique. Il ne s’agit pas seulement d’une plaie bosniaque : c’est une condamnation mondiale de l’hypocrisie et du double standard des puissances occidentales. Aujourd’hui, alors que ces mêmes pays évoquent la justice en Ukraine ou à Gaza, beaucoup de Bosniens se souviennent du silence complice de la communauté internationale durant leur nuit la plus sombre.

Des experts juridiques comme Geoffrey Nice, qui a poursuivi Slobodan Milosevic, ou Janine di Giovanni, journaliste ayant couvert Srebrenica, ont souligné la réitération du double langage occidental dans l’application des principes humanitaires, mettant en garde contre la possibilité que des leaders puissants comme Bibi Netanyahu en Israël bénéficient une fois de plus d’un bouclier politique.

Geoffrey Nice reste sceptique quant à la capacité des efforts internationaux actuels à apporter une justice significative en Ukraine ou à Gaza. « Tout accord personnel inclura presque inévitablement, comme première clause, l’impossibilité de poursuivre Poutine ou Netanyahu pour des crimes », affirme-t-il, arguant que des tribunaux nationaux pourraient offrir une voie plus réaliste pour rendre justice.

Le génocide de Srebrenica oblige le monde à faire face à ses échecs — pas seulement en se souvenant, mais en s’engageant à agir moralement de manière cohérente. Jusqu’à ce que cela se produise, l’héritage de trahison et d’hypocrisie qu’il a dévoilé restera non résolu.

En 1995, le monde a failli à Srebrenica, souvent dans le silence. La tuerie de plus de 8 000 Bosniaques s’est déroulée sous le regard de casques bleus de l’ONU dans une zone dite « sûre », avec peu de couverture médiatique et de conscience mondiale en temps réel. Ce n’est qu’après coup que l’horreur a été pleinement révélée. À l’inverse, la crise à Gaza se déroule sous nos yeux, avec le monde entier à l’écoute.

Les responsables de l’ONU décrivent Gaza comme un « cimetière d’enfants et de personnes affamées ». En juillet 2025, plus de 57 000 Palestiniens ont été tués, dont plus de 17 000 enfants. Des quartiers entiers ont été rasés, des hôpitaux bombardés, et des fosses communes exhumées — tout cela étant diffusé en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux. Des centaines de milliers de Palestiniens restent sans nouvelles, portés disparus.

Malgré cette visibilité, les dirigeants internationaux peinent à intervenir efficacement. En réalité, les dirigeants américains et de l’OTAN continuent de soutenir ceux qui commettent la « géocide » de Gaza.

Ces tragédies montrent un schéma d’hypocrisie occidentale : dans le cas de la Bosnie, la passivité et le déni ont été la règle, tandis qu’à Gaza, c’est la complicité et la morale sélective qui dominent. Comme le souligne l’imam Abdul Malik Mujahid de Justice For All, « Srebrenica nous enseigne que le génocide ne se produit jamais dans l’isolement. Il est toujours précédé par la déshumanisation, facilité par le silence, puis nié. Nous assistons actuellement à cette même séquence mortelle dans Gaza — encore une fois. »

La devise « Plus jamais ça » était censée symboliser la leçon de Srebrenica. Or, Gaza montre que cette promesse est devenue une slogans vide. La faute de l’inaction mondiale, alors que la souffrance se déroule en direct, soulève une question douloureuse : si ce n’est pas maintenant, alors quand ?

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