L’épistémologie soulève deux questions fondamentales : qu’est-ce qui constitue la connaissance ? Et quels sont les chemins valides pour l’acquérir ?
À cet égard, les paradigmes de pensée occidentaux et islamiques divergent considérablement. Dans la tradition occidentale de l’épistémologie, il est souvent admis que tout ce que l’on peut connaître est accessible par l’intellect seul—plus l’esprit est aiguisé, plus la compréhension profonde semble possible.
En revanche, l’épistémologie islamique distingue trois niveaux distincts de connaissance. Le premier et le plus élémentaire est effectivement accessible par l’intellect : une capacité intellectuelle accrue permet une meilleure appropriation du savoir.
Le deuxième niveau est atteint par la purification du cœur ; un cœur plus pur offre une perception plus claire de la vérité. Le troisième et ultime niveau s’atteint par l’élévation spirituelle : plus l’âme monte en noblesse, plus l’intuition sur la réalité ultime s’approfondit.
La littérature soufie a été produite par des individus ayant atteint ce niveau supérieur. En revanche, de nombreux musulmans contemporains se consacrent principalement au premier niveau, ce qui peut rendre difficile la compréhension des insights et de la sagesse que recèlent aussi bien les textes classiques que les écrits soufis modernes.
Face à cet écart, quelle serait la réponse la plus appropriée ? Idéalement, les musulmans d’aujourd’hui devraient reconnaître les limites de leur état spirituel actuel et aborder ces textes avec humilité et révérence, choisissant le silence lorsque la compréhension n’a pas encore émergé.
Cependant, ce que l’on observe souvent, c’est le contraire. Nombreux sont ceux, ayant peu de familiarité avec les disciplines spirituelles qui fondent la pensée soufie, qui interviennent en ligne pour critiquer publiquement et remettre en question les écrits de sages soufis respectés.
Avec de larges audiences sur des plateformes comme YouTube, ces individus soulignent fréquemment des « défauts » perçus dans la littérature soufie, trivialisant involontairement la profondeur des œuvres de figures spirituelles d’une richesse exceptionnelle dans l’histoire islamique.
Ce phénomène reflète une posture inquiétante envers la connaissance : une confiance sans profondeur. Alors qu’idéalement, l’attitude devrait être celle de l’humilité, fondée sur une véritable connaissance. Même l’humilité combinée à l’ignorance vaut mieux que la démesure. Se lancer dans la contestation de géants spirituels avec une compréhension limitée risque de faire beaucoup de tort à la fois à la connaissance et à la tradition.
Que Dieu bénisse cette Ummah en lui accordant du respect (adab) pour les saints, sages, mystiques et Awliya qui ont laissé un héritage de sagesse. Des œuvres qui continuent à éclairer, mais seulement pour ceux qui cherchent à comprendre avec humilité.
Il nous incombe de préserver ce patrimoine de toute mauvaise interprétation ou méprise, notamment de ceux qui, même avec une bonne intention, ne seraient pas encore prêts à saisir la profondeur de ce qu’ils critiquent.
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