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L’Islam serait en conquête de l’occident ? L’Islam, c’est éduquer les esprits plutôt que construire des empires

Il est aujourd’hui courant, que ce soit dans les cercles scholars islamiques ou non, d’associer les termes « conquête » et « empire » à l’Islam, aux Musulmans et à la civilisation islamique. Cependant, cette association est parfaitement inappropriée. Elle trouve en partie ses racines dans les efforts des anciennes puissances coloniales musulmanes et en partie dans la pseudoscience de l’orientalisme, qui visait à décrédibiliser les Musulmans, à diminuer leur foi et leur civilisation.

La vérité historique et pratique est que l’objectif principal des musulmans n’a jamais été de conquérir d’autres peuples pour bâtir des empires. Bien sûr, leur longue et riche histoire a connu des épisodes malheureux, souvent menés par des individus peu qualifiés, mais ces exceptions ne sauraient remettre en cause la règle de fond, qui a prévalu durant des siècles. Les contributions civilisationnelles des musulmans étaient si abondantes et variées que ces exceptions paraissent insignifiantes comparativement aux héritages majeurs produits par la majorité musulmane.

Le mot « conquête » a été inventé au XIVe siècle et désigne l’action de vaincre et de subjuguer un adversaire par la force armée, ou de s’emparer d’un pays ou d’une ville par l’usage de la force. Son origine provient du participe passé du latin vulgaire « conquaerere », qui signifie « chercher, obtenir par effort et gagner ». Dans le contexte de « conquête », « chercher » évoque la recherche d’opportunités, de ressources et de biens où qu’ils soient, « procurer par effort » reflète l’engagement total pour obtenir ce qui est recherché, et « gagner » signifie surpasser tous les obstacles présents ou potentiels pour conserver ce qui a été acquis, à tout prix.

Par ailleurs, le terme « empire » a également été forgé au XIVe siècle et désigne un « territoire soumis à la règle d’un empereur », ou encore « l’autorité suprême d’un empereur » et « un pouvoir absolu et incontesté de gouverner » (www.etymonline.com). La notion d’« empire » découle d’une théorie politique centrée sur la divinité divine de l’autorité, où les empereurs n’étaient pas responsables devant leur peuple ou leur royaume, mais directement vis-à-vis d’une autorité céleste ou en raison de leur propre pouvoir.

Il n’est donc pas surprenant que ces concepts aient été créés, puis ont gagné en usage à une époque où les grandes puissances européennes émergeaient, planifiant de conquérir, coloniser le monde soi-disant pour l’exploration et la découverte, afin de bâtir des empires reposant sur occupation, subjugation, oppression et exploitation.

Cependant, tout au long de leur histoire, les interactions des musulmans avec autrui n’ont rien à voir avec cette notion de « conquête ». Leur organisation politique, qu’il s’agisse d’un seul gouvernement ou de plusieurs, n’a pas du tout pour but la création d’un « empire ». Leur mission spirituelle et civilisationnelle n’était pas la domination mais l’éveil des consciences.

La tâche fondamentale du Prophète et des Musulmans

Le Prophète Muhammad (ﷺ) a été chargé de transmettre le message islamique révélé à lui, non de conquérir ou convertir le monde, ni de créer des royaumes terrestres. Son objectif premier était d’éclairer les esprits et de purifier les cœurs depuis le début de sa mission, et cela resta sa priorité tout au long de sa vie. Le monde et ses habitants appartiennent à Allah Tout-Puissant. Ils font partie d’un domaine supérieur, plus vaste et plus signifiant. Il fallait clarifier qui est qui et quoi est quoi dans l’ordre des choses. Il s’agissait de montrer aux gens pourquoi et comment ne pas adorer la création, mais plutôt le Créateur, et pourquoi ne pas diviniser les humains, mais proclamer la souveraineté du Seigneur de l’humanité.

Ce dont l’humanité a besoin ici-bas, c’est de se libérer des diverses formes d’erreurs et d’illusions, le polythéisme étant l’un des exemples majeurs. Cette libération doit ouvrir la voie à l’affirmation de soi et à l’accomplissement personnel. Elle consiste aussi en une liberté de vie, permettant aux individus de faire leurs choix en toute conscience et de vivre et mourir honorablement selon leurs choix. Enfin, l’humanité doit diriger son regard vers un service sincère au seul Créateur, en abandonnant la vénération des idoles mentales, animales ou matérielles.

En résumé, les hommes ont besoin de connaître le dernier Messager et le dernier message qu’il a reçu — le Testament ultime. Ils doivent évoluer dans un environnement social et politique où ils peuvent accepter ou rejeter librement l’Islam, étant responsables de leurs pensées, actions et leurs conséquences, maîtres de leur destin. Être croyant (Musulman et Mu’min) ou non (Kafir) implique ce processus d’émancipation, et l’accomplissement du devoir d’affirmation. Le Coran dit : « Dis : La vérité vient de votre Seigneur. Quiconque le veut, qu’il croie ; et quiconque le veut, qu’il ne croie pas » (Al-Kahf 29).

L’Islam : pas une conquête, mais une « fath » (ouverture)

Les prophètes et leurs générations avaient pour volonté de fournir au monde ce qui lui manquait, en œuvrant à « ouvrir » (fath) des pays et des territoires à la lumière de l’unicité divine, tout en cherchant à « ouvrir » l’esprit et le cœur des gens à la même finalité. Plutôt que de conquérir des cités ou villages, les musulmans visaient à « déverrouiller » et à « ouvrir » ces lieux pour que la vérité se répande et que la communication, leur interaction et leur dialogue s’améliorent. Leur objectif n’était pas de conquérir pour asservir, mais de libérer et « conquérir » leurs capacités spirituelles et intellectuelles.

Les musulmans aspiraient à gagner des cœurs et des esprits, car il n’y a pas d’Islam authentique sans liberté véritable. Aucune civilisation islamique, pas plus qu’aucune fraternité islamique, ne peut prospérer sans individus libres et éclairés. La civilisation islamique a atteint son apogée lorsque ses dimensions spirituelles, morales et éducatives ont été au premier plan. Mais dès que les priorités se sont égarées, que la fougue de la conquête pour la conquête l’a emporté, ou qu’il a été question de bâtir des royaumes pour étendre la domination, la civilisation islamique a entamé son déclin, emportée par la perte de ses idéaux.

C’est pour cela que le concept coranique de « fath » – qui signifie ouverture et déverrouillage – est souvent mal traduit en Occident par le terme de « conquête », alors qu’il s’agit d’un processus totalement différent. La « fath » islamique consiste à ouvrir, libérer, renforcer et nourrir, tandis que la conquête implique verrouiller, subjuguer, asservir et affaiblir. La formation d’états islamiques ou monarchies dans le cadre de cette « fath » n’était qu’un sous-produit, une nécessité tactique imposée par les conditions du moment. À travers l’optique islamique, la lutte était vue comme une forme de miséricorde, et la « fath » comme une bénédiction.

La souveraineté exclusive d’Allah dans l’Islam

Il est fondamentalement islamique de rappeler que toute autorité et toute souveraineté appartiennent uniquement à Allah. Il est le Créateur et le Seigneur, et les hommes ne sont que Ses créatures et Ses serviteurs. Les titres de pouvoir n’ont pas de réelle légitimité, ils sont symboliques. La seule véritable domination, c’est celle d’Allah : le Royaume des Cieux. La condition humaine se limite en réalité à la servitude envers Allah et au service des autres, car « il n’y a de puissance et de force qu’en Allah, le Très-Haut, le Magnifique et le Tout-Puissant. »

D’où la focalisation des traités sur la gouvernance islamique : ceux comme al-Mawardi dans « Al-Ahkam al-Sultaniyyah » insistèrent sur les limites divinement ordonnées au pouvoir des gouvernants, leurs devoirs envers leur Créateur, la religion islamique, et tous les êtres humains, y compris les non-Musulmans. Leur rôle n’est pas d’exercer un pouvoir absolu, mais de servir.

De même, le penseur al-Farabi, dans « Ara’ Ahl al-Madinah al-Fadilah », envisageait une cité islamique idéale, représentée par la figure de la Madinah ou de plusieurs Madinah — centres urbains servant de pôles à la gouvernance. La philosophie politique islamique vise à équilibrer l’aspect terrestre avec la dimension spirituelle, par la justice collective, une interaction respectueuse et la coopération. Tout système qui ne repose pas sur ces principes ne serait pas une véritable cité islamique, mais plutôt une expression d’ignorance (jahiliyyah).

Selon Isma’il al-Faruqi, la tâche de l’islamiste était globale : il voulait établir un ordre du monde basé sur la justice, la moralité, une organisation où aucun injustice ne pouvait être ignorée ou passer inaperçue. Un ordre où la liberté de pensée et d’expression règne, où Islam appelle à l’unicité divine, à la vérité, et à la valeur.

Les manipulations et distorsions historiques

Pour illustrer, les expressions comme « fath Makkah » (ouverture de La Mecque), le « Sultan ottoman Mehmed al-Fatih » ou encore « futuhat islamiyyah » ne doivent pas être traduites par « la conquête de Makkah », « Mehmed le Conquérant » ou « conquêtes islamiques ». Ces traductions faussent l’histoire et déforment l’événement et les figures exceptionnelles qui y sont associées, risquant ainsi de leur porter préjudice. Il est plus juste de garder ces termes en arabe ou de les intégrer dans d’autres langues de façon arabisée.

Les musulmans ne se sont jamais engagés dans la conquête pour des motifs expansionnistes. Leur combat était avant tout une défense contre les formes d’injustice et de tyrannie qui empêchaient leur peuple, idéologiquement ou physiquement, de vivre selon la révélation divine et de faire leurs choix. Si des obstacles physiques ou intellectuels doivent être levés pour permettre à chacun de choisir librement ses croyances et ses valeurs, alors, toute installation politique islamique – qu’elle soit califat, sultanat ou autre – doit rester vigilante pour empêcher le retour des vieilles modes de gouvernance despotiques et préserver la liberté acquise.

Les entités politiques et systèmes de gouvernance qui en découlèrent, tels que le califat, les États ou sultanats, furent, selon la vision musulmane, guidés par les principes de Madinah, de l’ummah, du tawhid, de l’ijtihad, des maqasid al-shari’ah (objectifs de la Loi islamique) et de l’al-siyasah al-shar’iyyah (gouvernance juste basée sur le Coran et la Sunnah). Dès lors, considérer ces entités comme des empires est une erreur intellectuelle. Par exemple, voir l’Empire ottoman comme un empire — malgré leur auto-désignation comme « Sublime État Ottoman » ou « Domaines protégés » — méconnaît leur véritable identité et leur héritage civilisationnel. La famille ottomane, qui portait à la fois le titre de calife et celui de défenseur des lieux saints, ne constituait pas un empire selon la conception islamique mais une organisation à visée divine.

Les agents du colonialisme occidental en étaient conscients et n’ont cessé de manipuler le vocabulaire. Sir Richard Burton qualifiait par exemple tout le système musulman de « vaste empire » ou de « califat-empire ». Même tout le pouvoir divin d’Allah — l’ « al-Mulk » — fut abusivement traduit comme « l’empire ». Franz Rosenthal, traducteur de l’« Introduction » d’Ibn Khaldun, s’est montré irresponsable en traduisant des termes innocents tels que « États islamiques » ou « l’affaire de l’islam » par « l’empire islamique ». Leur but était de distordre la vérité afin de justifier la colonisation, de présenter l’Occident comme le régulateur du progrès, tout en déguisant leur histoire réelle derrière une narration qui justifierait leurs actions de domination, de conquête et de pillage.

De cette manière, on a souvent accusé les Musulmans d’avoir conquis le monde pour bâtir des empires, et de ce fait, les régions conquises devraient être « libérées » — en les reconquiérant comme lors de la Reconquista espagnole, ou en les transformant de force à l’image de l’ancien empire ottoman dans les Balkans. En réalité, comme l’Empire ottoman, dernier grand représentant de la civilisation islamique ayant influencé profondément l’Europe, fut la cible principale de ces discours dénigrants, on leur a collé les étiquettes de « barbares », « péril durable » ou « bras de la fureur divine ». Leurs actions furent vues comme une conquête implacable, une domination coloniale visant tant l’Occident que l’Orient.

Ainsi, l’Occident a réussi à fermer la majorité de ses portes à toute compréhension authentique de l’Islam et des Musulmans, après avoir ouvert les premières (fath) pour en faire des points de départ, puis tout a été fait pour empêcher toute véritable relation avec cette civilisation. Leur mohousse de la religion s’est muée en islamophobie, un mal boursouflé de préjugés et de méfiance.

Exemple de Portugal en Brésil et des Musulmans en Portugal

Une anecdote illustre cette vision biaisée : un homme se vantait que le Brésil était resté sous domination portugaise plus de trois siècles, expliquant ainsi que les Brésiliens sont aujourd’hui chrétiens et parlent portugais. Or, on lui a alors rétorqué que, après avoir vécu sous une civilisation arabo-islamiques depuis plus de cinq siècles, les Portugais ne sont ni Musulmans ni ne parlent arabe. L’homme fut déconcerté. La vérité est que le Portugal n’a jamais été conquis ni colonisé par des Musulmans, et il n’en a pas fait partie en tant qu’Empire islamique. La présence musulmane dans la péninsule ibérique, comme partout ailleurs, fut noble et significative, bien différente d’une simple conquête ou d’un empire territorial.

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